Si jamais ce sujet vous intéresse, voici les exemples mentionnés dans la troisième sous-partie de la troisième grande partie, plus détaillés !
Ces deux études de cas illustrent la place et l’impact que tiennent les traditions, pratiques et croyances dans le cadre des dispositifs sanitaires, lieux d’expression et de transformation des relations entre humain et animal.
Etude de cas 1 : La crise de la grippe aviaire à Hong Kong en 1968. L’impact de la crise sanitaire et des dispositifs sanitaires sur les pratiques de consommation de la viande et l’instrumentalisation des traditions et croyances dans un contexte sanitaire comme manière légitimer le pouvoir en place.
Dans un premier temps, la crise de la grippe aviaire, ayant engendré de nombreuses conséquences économiques, sociales et culturelles parfois désastreuses a mis en danger le métier particulier de vente de viande de volaille. Les différents dispositifs sanitaires mis en place à Hong Kong en 1997 pour contrer la maladie ont donc touché de manière directe et visible la société. Il existe cette tradition de vendre le poulet vivant au marché a été compromise par les nouvelles règles de biosécurité. Il est désormais interdit de ramener une volaille vivante chez soi, les marchands sont séparés du marché par un couloir hygiénique et le rituel de l’abattage change : il s’effectue dans l’arrière-boutique, loin du client. Ce difficile travail est en voie de disparition, menacé par le gouvernement même.
Témoignage d’une marchande du marché de Tai Po à Hong Kong : « On est tout le temps stressés, c’est dur. Le gouvernement nous menace de nous retirer notre permis. Il y en a qui sont allés manifester contre le gouvernement, certains se sont même jetés à la mer » (entretien, 15 février 2008).
Ainsi, en appréhender les dispositifs de surveillance par les manières qu’une société gère en pratique les tensions et incertitudes, la dimension des traditions et des croyances tient une place importante.
Dans un deuxième temps, les dispositifs sanitaires qui ont été mis en place par les autorités publiques entrent bien dans cette dynamique de biopouvoir qui consiste à laisser vivre ou faire mourir. Durant la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la République populaire en juillet 199, soit entre les deux émergences du virus H5N1, des abattages massifs visant toutes les volailles sur le territoire ont rythmé la crise, prenant à contrepied l’idée générale des citoyens hongkongais qu’un événement catastrophique s'abattra sous la gouverne chinoise. Le gouvernement de Tung Chee Wah a mis en place des dispositifs radicaux et coûteux visant à éradiquer le virus, mais aussi à affirmer sa légitimité et sa souveraineté. C’est d’ailleurs pourquoi ces abattages massifs se sont ritualisés : se répétèrent régulièrement avec une population de volailles décroissante : 1,2 millions abattus en 2001, un million en 2002, 180 000 en 2008. Caractérisés comme analogistes - c’est à dire distinguant l'humain et le non-humain dans une radicale différence d’un point de vue des physicalités et intériorités - ces dispositifs sanitaires permettent de restaurer la santé mais aussi de rétablir une certaine frontière entre les espaces et les espèces et, à travers la fonction sacrificielle des abattages, de donner une légitimité au pouvoir en place : en effet, le sacrifice met le corps du souverain au centre du dispositif de pouvoir. Notons que la dimension confucéenne des rites pourrait faire penser au mandat du ciel.
Le mandat du ciel est un concept chinois apparu sous la dynastie Zhou. Il permet de rendre compte de la légitimité du pouvoir des Empereurs de Chine. Il est fondé sur l'approbation que le Ciel accorde ou non le pouvoir aux dirigeants, s’ils sont sages et vertueux ou encore suivent conformément les rites. D’ailleurs, les catastrophes naturelles étaient perçues comme des signes témoignant de la réprobation du Ciel, ce qui légitimait le peuple à se rebeller, pour qu'une dynastie plus vertueuse se voit alors confier le Mandat du Ciel.
Etude de cas 2 : L'exemple de la tuberculose zoonotique des éléphants au Laos depuis 2013. Des pratiques et traditions en transformations dans le cadre d’une crise sanitaire ?
En se basant sur une enquête ethnologique, nous allons tenter d’expliciter le rôle des populations locales et la place de leur savoir dans ce dispositif de surveillance de la tuberculose zoonotique des éléphants mis en place au Laos depuis 2013. Ce contexte sanitaire a engendré des agencements spécifiques et des transformations induites par les systèmes de surveillance dans le rapport que les humains - ou plutôt les différents acteurs concernés - entretiennent avec les animaux et sa perception avec ces derniers.
Ce sont les autorités, avec l'aide d’une ONG occidentale, qui ont initiées la surveillance des éléphants dans le pays, qui s’appuie sur les observations et la collaboration des cornacs pour informer les vétérinaires de la présence de signes cliniques sur l’animal. Cependant, la difficulté que rencontre les acteurs mettant en œuvre les dispositifs sanitaires résident dans l’incompréhension des cornacs et des propriétaires quant au risque de transmission du pathogène. Pour ces derniers, le franchissement de la barrière inter-espèce concernant les maladies, et la tuberculose en particulier, est difficilement pensable. D’ailleurs, ces derniers associent la maladie à l’implantation de la médecine occidentale, dans laquelle ils n’ont pas confiance.
Ainsi, le sujet vient exacerber des tensions déjà existantes en opposant plus vivement les savoirs locaux et occidentaux sur les pachydermes. En effet, se crée une distinction entre de différents sites ou encore localités, où se matérialise l’alerte globale sur la maladie. Elles se caractérisent par différentes manières de surveiller, selon si elle est un camp touristique ou un village par exemple. De ce fait, la surveillance de cette maladie globale se décline en plusieurs localités qui par conséquent diffusent et mettent en place de nouvelles normes et signent pour une meilleure surveillance de la maladie.
La plus grande limite de la surveillance des éléphants au Laos demeure dans l’articulation des actions locales de conservation de la biodiversité avec la gestion des risques sanitaires et environnementaux globaux. La surveillance gagnerait pourtant en efficacité si l’on pouvait concilier les différentes conceptions de la maladie dans les pratiques et la gestion des pachydermes.
Par ailleurs, cette crise a vu le jour en même temps que la patrimonialisation des pachydermes, qui agit aussi comme moyen de conserver l’espèce. Ce cadre précis crée la réelle possibilité de reconsidérer le rôle des savoirs et savoir-faire locaux faire évoluer les savoirs locaux en transformant les pratiques traditionnelles en outil de gestion des crises sanitaires et environnementales. Ainsi, alliant patrimoine biologique et culturel, il serait possible d’intégrer au sein de la question du local des préoccupations plus globales liées à la prévention des risques sanitaires et environnementaux de la tuberculose, le « emerging disease worldview » (King, 2002), même si toutefois le consensus opéré par les différents acteurs sur le terrain ne laisse cependant que peu de place aux cornacs et aux propriétaires. Ils ont pourtant la capacité d’être les « nœuds culturels au sein des réseaux globaux », même si à l’échelle du continent sud-est asiatique, la place des populations locales ne joue pas le rôle de guide quant aux politiques et agendas environnementaux globaux. Ainsi, penser le local et le global ensemble amènerait alors à reconstruire le paradigme de la conservation.
Par ailleurs, l’enquête montre que les pratiques de surveillance de la maladie au Laos semblent développer une autre dimension de la surveillance en faveur de la survie de l'espèce. En effet, des dispositifs d’équipement de la faune sauvage sont mis en œuvre, visant à la protéger pour elle-même, et non seulement à en protéger l’espèce humaine.
Bibliographie :
Lainé, Nicolas. « Surveiller les animaux, conserver l’espèce ». Revue d’anthropologie des connaissances Vol. 11, N°1, no 1 (3 mars 2017): 2344.
https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2017-1-page-23.htm
Keck, Frédéric. « Faire mourir et laisser vivre. Grippe aviaire et rituels sanitaires à Hong Kong ». Cahiers d’anthropologie sociale N° 8, no 1 (2012) : 89101. https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-anthropologie-sociale-2012-1-page-89.htm#no1
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