Une surprenante exploration des animaux de l'Égypte Ancienne


Les animaux sont devenus un objet d’étude pour les historiens depuis quelques temps (1). Dans ce contexte, plusieurs ouvrages se sont intéressés aux rapports entretenus entre humains et animaux dans la civilisation de l’Égypte antique. Un ouvrage paru en 2005 propose une approche complète sur le sujet sous le titre Des animaux et des hommes, une symbiose égyptienne (2).





Ce livre a pour objet de présenter l’étude de la relation entre l’humain et l’animal en Égypte, depuis le début de son établissement jusqu’à sa stabilisation.






L’Égypte ancienne est une civilisation agricole qui vit grâce à l’exploitation du règne animal. Temples, tombes ou objets de la vie quotidienne fourmillent de représentations d’animaux, mais ce qui fait la grande originalité du peuple égyptien est ce que les auteurs appellent dans l’Introduction une « attention affectueuse à leur égard » (p. 12). Dans l’Égypte pharaonique les animaux ne sont pas une espèce inférieure à l’espèce humaine, ils ne sont pas non plus des dieux, mais ils peuvent entretenir avec le monde divin des relations privilégiées.


Je vous présente maintenant de vive voix les deux parties du livre :











Momies de chats, période ptolémaïque (332 - 30 av. J.-C.),
nécropole de Stabl Antar.









Dans l’ensemble de ces pages, les animaux de l’Égypte sont présentés de manière précise et détaillée, en en donnant la description physique, le nom de l’espèce et son origine, ainsi que leurs multiples fonctions dans la vie quotidienne et dans les cultes, avant d’aborder leurs significations symboliques.

Cette première partie est, somme toute, une description documentée des origines de l’omniprésence de la forme animale dans la pensée et dans l’art d’un peuple pour lequel le spectacle d’une faune riche et variée a eu des conséquences importantes sur sa façon de voir, de concevoir et d’exprimer le monde. L’art égyptien offre cette double possibilité : délectation simple ou intellectualisation extrêmement forte. La représentation des animaux en est la meilleure illustration. C’est ce que la seconde partie du livre s’attache à montrer en s’intéressant à « l’animal dans l’univers symbolique ».

Voici maintenant la présentation de la seconde partie du livre : 






De gauche à droite, exemples de divinité composite, anthropomorphe, ou zoomorphe :
  • Figurine de la déesse Thouéris, Basse-Époque (664-332 av. J.-C.), faïence silicieuse, 10,2 x 3,1 x 4,4 cm, Musée du Louvre, Paris.
  • Le dieu Osiris, Époque ptolémaïque (332-30 av.J.-C.), bois enduit, entoilé, et autrefois peint, bronze, 166 x 36 x 38 cm, Musée du Louvre, Paris.
  • Statue de faucon coiffé du pschent : Horus, (Basse-Époque), alliage cuivreux, 53 x 13 x 32,5 cm, Musée du Louvre, Paris.





Le propos s’appuie sur des analyses détaillées de décoration sur les tombes, les palettes, les mastabas – définis par les auteurs comme une superstructure ressemblant à une banquette et appartenant à un type de tombe –, et, pour le clarifier davantage, un grand nombre de dessins, réalisés par les deux auteurs principaux, sont reproduits en vis-à-vis du texte. À ces dessins s’ajoutent deux cahiers de reproductions photographiques des sites ou objets mentionnés.




Leur argumentation se heurte aux limites des données à leur disposition car leur travail est réalisé à partir de découvertes lors de fouilles archéologiques et d’images ou de documents qui ne peuvent représenter exactement ce qu’étaient la civilisation égyptienne et la population animale de l’époque. L’enjeu est alors d’interpréter ces découvertes sans méprises ou inventions. Les auteurs rappellent qu’il faut avoir à l’esprit que les Égyptien.ne.s avaient une taxonomie (autrement dit une classification) des animaux différente de la nôtre, sans parler des approximations dans les représentations qui rendent souvent l’identification des espèces compliquée – en effet, l’auteur de la représentation animale lui-même pouvait mal connaître le sujet qu’il représentait. Ainsi, il est montré que le savoir sur cette civilisation et son lien avec les animaux n’est pas absolu, et qu’il peut être remis en question et évoluer avec de nouvelles découvertes (et les progrès technologiques !).



La démarche est fondée sur une approche scientifique qui souligne les points conjecturaux, mentionne avec honnêteté que les hypothèses formulées ne peuvent pas être toutes vérifiées et signale les erreurs d’anciennes croyances sur le sujet.


Le sujet abordé par thématiques crée parfois des répétitions d’un chapitre à l’autre, certaines idées identiques étant reprises par les contributeurs. Ceux-ci, par exemple, font ainsi référence à plusieurs reprises aux influences que le culte égyptien aura sur les cultes grecs et romains. Mais ils ne développent pas leurs explications sur l’hellénisation et la romanisation du culte égyptien, et leurs conséquences sur les représentations animales ou sur la relation humain-animal en général. Il faut noter que le livre s’adresse à un public averti, et cela est souligné dès les premières pages. Il ne s’agit pas de donner réponses à des questions qui sont encore en débat et de prétendre à l’exhaustivité dans l’exposé.




Pour justifier cette « symbiose égyptienne », les auteurs, on l’a dit, proposent à l’appui de leur raisonnement dessins et photos qui clarifient leur propos. Leur argumentation se heurte aux limites du matériel considéré et aux données à leur disposition ; toutefois, le livre fait le constat d’une « forme bien particulière de coexistence avec l’animal » (p. 12) durant la civilisation égyptienne. On voit que leur rapport avec les animaux sont dépendants d’un certain nombre de conditions, et qu’ils entretiennent des relations singulières avec certains animaux spécifiques.

Cette co-existence, à la différence de l’Antiquité classique qui avait une vision hiérarchique et dépréciative de l’animal, se fonde sur une croyance à une communauté d’origine de tous les règnes, où l’humain n’est pas supérieur au reste de la création. Au terme de la lecture, ce constat apparaît clairement. L’idée que le peuple égyptien vénérait des bêtes est démentie comme provenant d’une volonté des auteurs chrétiens de jeter l'anathème sur une religion polythéiste et il est rappelé que, malgré sa représentation animale, le dieu est un « concept religieux déconnecté du réel. Ce qui importe c’est la puissance dont le dieu est porteur » (p. 134). Ainsi le rapport que le peuple égyptien entretient avec l’animal n’est pas dans la vénération, mais il est toutefois lié à la pratique religieuse.

On est donc loin de ce qui a pu parfois passer dans l’Antiquité classique pour de la simple zoolâtrie obscurantiste (3), et la symbiose mise ici en évidence est bien révélatrice de la participation si massive de l’animal dans le mode de pensée spirituelle des Égyptien.ne.s – et donc dans leur religion –, et, plus largement, de leur rapport au monde. Comme le rappelle Claude Levi-Strauss : « les animaux ne sont pas seulement bons à manger, ils sont aussi bons à penser. » (4)





(1) Citons l’ouvrage précurseur de R. Delort, Les animaux ont une histoire, Paris, Le Seuil, 1984.

(2) F. Dunand, R. Lichtenberg, avec la collaboration d’A. Charron, Des animaux et des hommes, une symbiose égyptienne, Monaco, Éditions du Rocher, 2005.

(3) Pour Hérodote, le soin des animaux confinait à la zoolâtrie. Un Égyptien, notait-il, laisse brûler ses meubles mais expose sa vie pour sauver un chat du brasier. […] « […] J’ai pris soin des ibis, faucons, chats et chiens divins et je les ai rituellement inhumés, oints d’huiles et emmaillotés d’étoffes. » G. Posener (en collaboration avec Serge Sauneron et Jean Yoyotte), Dictionnaire de la civilisation égyptienne, 15 b, Paris, 1959.

(4) Claude Levi-Strauss, La Pensée sauvage, Plon, Paris, 1962.

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