Emilie Morand et François de Singly nous proposent une première approche du lien existant entre ces deux acteurs. Ces deux auteurs ont pour objectif de « caractériser la personnalisation d’un lien entre l’animal de compagnie et un adulte » (Morand et De Singly, 2019). À l’aide d’une enquête par questionnaire, ils arrivent à la conclusion que la relation entretenue avec un animal familier est différente que celle que l’on peut avoir avec son enfant, son conjoint ou un ami. Les propriétaires ne parviennent pas à la catégoriser et cela ne leur importe que peu. La caractéristique la plus importante est l’unicité de la relation avec cet être proche ainsi que l’intensité importante de l’attachement affectif. Le statut de l’animal et le lien l’unissant à l’homme est spécifique à chaque couple. La vision exposée se rapproche de celle exprimée par Montagner dans sa description de l’animal familier, il y apparait comme un médiateur, un substitut relationnel dans la famille et peut ainsi être perçu comme quasiment humain (Montagner, 2002).
En étudiant une seconde perspective, voici le Manifeste des espèces compagnes (Haraway, s. d.). Cet ouvrage aborde tout comme le premier le fait qu’un lien se crée entre êtres humains et autres, et que la singularité de ce lien a toujours était présent entre humains et espèces compagnes. Haraway place l’étude de la relation entre son chien et elle de manière intime et personnelle. Pour cela, elle utilise son expérience et la relation qu'elle entretient avec ses chiens Cayenne et Roland. On voit également des photos d’elle et ses chiens. Cependant, elle décrit une relation entravée dans notre société. En se plaçant dans le contexte culturel actuel, elle affirme qu’en général nous réalisons des comparaisons en soulignant beaucoup plus les différences que les ressemblances. La théorie de Darwin en est la preuve puisqu’il représente la complaisance de l’être humain à classer les espèces en fonction de leurs compétences et de les considérer en fonction de ce classement. Pour pouvoir se lier à l’autre, il faut dans un premier temps aborder de nouvelles perspectives, s’ouvrir un champ des possibles sur la place qu’ont les animaux dans nos vies, ou bien de se questionner sur ce jeu de pouvoir et de biopolitique qui est établi entre les espèces compagnes et l'êtres humains. D’ailleurs pourquoi utilise-t-elle le terme espèce compagne ? Ce terme traduit de l’anglais « significant other » symbolise pour elle les « autres » qui nous accompagnent dans nos vies. Il témoigne non pas d’un arbre progressif montrant l’évolution des espèces mais d’un arbre multidirectionnel où chaque espèce est au même niveau. Il advient que cette condition d'esclavagisme de l'animal domestique n’a plus lieu d'être. Pour Haraway, il y a une réciprocité des actions : si je possède mon chien, mon chien me possède. En effet, le comportement que nous possédons avec nos animaux est unique et spécifique à chacun et il en va de même pour eux. Haraway parle même d’affranchissement de la relation car « au propriétaire revient la difficile tâche d’apprendre à obéir à son chien avec honnêteté ». (Haraway, Despret et Hansen, 2019, 92)
Ainsi, il apparait évident qu’entre humains et autres qu'humains un lien unique survient et prend forme dans la considération et la réflexion.
L'établissement de ce lien et ses conséquences
Les animaux en établissant un lien avec un enfant permettent de rendre lisibles les compétences socles, il s’agit d’un concept créé afin de mieux identifier les socles de construction de la petite enfance. (Montagner, 2002). Il existe cinq compétences socles : l’attention visuelle soutenue, l’élan à l’interaction, les comportements affiliatifs, l’organisation structurée du geste et l’imitation. Le développement de ces compétences à l’aide du lien établi avec l’animal peut permettre de débloquer le monde intérieur de l’enfant, et ce, grâce à l’effet de la sécurité affective, notion basée sur le fait que lorsqu’un être répond de façon sensible aux besoins d’un enfant, celui-ci se sent calmé et rassuré, (Montagner, 2002). Cela contribue à stimuler l’imaginaire et la créativité de l’enfant sans qu’il n’émette de crainte sur les jugements que peut avoir l’animal. Ainsi, grâce à l’animalité de son compagnon, l’enfant structure ses émotions et ses interactions, permettant de laisser libre cours à son intelligence et sa pensée.
L’établissement de la relation entre l’animal et l’humain se fait également par une communication sensorielle, verbale et non-verbale entre les deux acteurs. Haraway dans son œuvre aborde le dressage comme l’un des moyens permettant d’ouvrir les portes de communication entre l’humain et les espèces compagnes. Or, il existe plusieurs méthodes de dressage différentes, laquelle est la meilleure ? Haraway va alors présenter deux auteurs ainsi que leurs œuvres sur le sujet (Garrett, 2016, Hearne et McCaig, 2007). Elle les décrit comme : « Deux intellectuels [qui] ont la bonne grâce de prêter attention au chien, dans toute leur complexité située et leur particularité canine, et aux demandes incompréhensibles qu’ils font peser sur leurs pratiques relationnelles » (Haraway, 2019, 97). On comprend alors que la méthode de dressage n’est qu’un moyen et non la fin. Il faut considérer l’autre pour établir la communication, l’essentiel ne se trouve pas dans la méthode de dressage qui est composée de savoirs tacites mais dans la considération que l’on porte à l’autre. Des connaissances tacites sont des compétences innées ou acquises comme le savoir-faire et l'expérience. Ces connaissances ne peuvent se transmettre ni s’expliquer. En somme, le dressage est finalement un moyen de communication, un signe de respect mutuel et de partenariat entre espèces compagnes. La relation de dressage est une relation d'amour puisqu’elle est belle en acte, exigeante, spécifique et personnelle.
Dans son cas, elle accomplit cette communication dans l’agility. L’agility est un sport qui est apparu en 1978 et qui est inspiré des concours équestres. Il s’agit d’un parcours réalisé par des chiens avec l’aide de leur partenaire. Pour réussir dans ce sport il faut obligatoirement connaître son chien, sa spécificité, et être en quasi-symbiose.
Voici un lien vers une vidéo illustrant la beauté et l’effort que représente ce sport. Ces images témoignent d’une grande considération et d’une admirable confiance de la part de la chienne et de sa maîtresse. Ici, on voit une chienne (une border collie) prénommée Fame et sa maitresse Jessica Ajoux accomplir ce parcours ensemble. On remarque que Fame témoigne son empressement de réaliser le parcours mais sa maitresse parvient à l’apaiser. Cette vidéo démontre l’effort considérable nécessaire à ce sport, mais aussi le bonheur que procure une communication parfaite.
(photographie tirée de
la video « Watch Fame(US) win the 2018 Masters Agility Championship | FOX SPORTS », publiée en février 2018)
Une frontière indiscernable entre l'animal de compagnie et l'animal thérapeutique
Cependant nous pouvons nous interroger sur la frontière qui se trouve entre l'animal de compagnie et l'animal thérapeutique. Quand peut-on dire que l'animal de compagnie devient nécessaire et indispensable à notre égard. Si cette frontière peut paraître indiscernables elle semble évidente pour Haraway. Les espèces compagnes ont toujours fait partie de nos vies et pour comprendre comment les espèces compagnes ont contribué à notre existence. Il important de considérer l’histoire, on observe alors deux histoires liées et entrelacée, deux cultures indépendantes et communicantes. Cette histoire qui dévoile comment l'être humain a sauvé certaines espèces compagnes et comment elles nous ont sauvé à leur tour. Prenons l'exemple qu'utilise Haraway dans son œuvre celui des chiens de montagne des Pyrénées. Leur présence auprès des bergers remonte à plusieurs milliers d'années et couvre des vastes étendus d'Afrique, d'Europe et d'Asie. Nous prenons ce cas d'étude puisque ces chiens sont présents depuis très longtemps en France et leur histoire a largement été documentée. Ainsi, durant la première et la seconde guerre mondiale ces chiens ont disparu peu à peu de France. Les écrits montrent que cette race de chien a subsisté grâce aux passionnés et aux amateurs de concours de chiens. De même que le chien de montagne des Pyrénées, plusieurs espèces en danger comme le loup gris ont été protégés par des lois rédigées des passionnés.
Il apparaît que l'être humain et les espèces compagnes ont une histoire entrelacée dans laquelle l'un ne peut subsister sans l'autre, cette frontière entre l’animal utilitaire, l'animal thérapeutique ou l'animal de compagnie se trouve dissipée par l'amour que nous éprouvons pour ces êtres, par cette volonté d'aider qu'ont les espèces compagnes, nous leurs compagnons de vie et d’histoire.
L’animal de compagnie n’est pas comme son nom l'indique une simple occupation ou un chien auquel on lancerait la balle en croyant lui faire plaisir. Croire cela reviendrait à nier cet autre que nous avons devant soi et qui ne souhaite que nous comprendre et nous aimer. L’espèce compagne devient un être proche et familier tout comme l’animal thérapeutique, et peut également permettre d'atteindre le bonheur. Comme dit précédemment, l'agility témoigne de l'effort que réalisent « l’animal de compagnie » pour nous rendre heureux et communiquer avec nous. Ce sport illustre parfaitement la relation entre le chien et l’humain puisque la « communication par message verbal et corporel de l’homme au chien sous la contrainte témoigne d’un grand effort de la part de l’animal d'un exercice musculaire mais aussi neuronal » (Haraway, 2019, 107).
En somme il faut sans cesse catégoriser l’animal auquel nous avons à faire face. Cela semble plus que réducteur pour cet autre qui est en face de nous. Il est difficile de refuser de s'allier à cette altérité qui est évidente. L’histoire le montre avec l’exemple des chiens de montagne des Pyrénées. Ils évoquent le lien qui nous unit à chaque espèce compagne et comment grâce à ce lien ces espèces ont pu subsister. Toute cette histoire s'achève avec la création de l’agility : la réalisation d’un geste précis à un moment donné dans le but de guider son chien à sauter une haie de soixante centimètres se transforme en un acte formidable, illustrant l’amour qui a rendu cette histoire possible. Cette histoire est l’histoire d'une famille multi-spécifique dans laquelle les animaux ne sont pas infantilisés. Une histoire où les animaux ne sont plus vus que par une fonction de compagnie, une fonction thérapeutique où utilitaire mais comme un être proche, comme un être aimé.
Bibliographie:
Garrett Susan, 2016, Ruff Love,
The Pet Book Publishing Company Ltd.
Haraway Donna J., Despret Vinciane et Hansen Jérôme,
2019, Manifeste des espèces compagnes, Climats.
Hearne
Vicki et McCaig Donald, 2007, Adam’s Task: Calling Animals by Name, New
York, NY, Skyhorse.
Montagner Hubert, 2002, L’Enfant et l’animal: Les
émotions qui libèrent l’intelligence, Paris, Odille Jacob.
Morand Émilie et De Singly François, 2019,
« Sociologie d’une forte proximité subjective au chat, au chien »,. Enfances
Familles Générations. Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine,
vol. , n° 32. Adresse : https://journals.openedition.org/efg/6445.
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