Le Dévouement de Monseigneur de Belsunce durant la peste de Marseille en 1720.
La peste noire est la deuxième grande pandémie de peste (avant tout bubonique) qui a sévi au milieu du XIVe siècle. Elle touche l’Eurasie, l’Afrique du Nord voire l'Afrique Subsaharienne mais nous axerons davantage notre étude sur ses répercussions en Europe, plus solidement documentées. Son nom lui a été donné a posteriori, certainement dans une erreur de traduction : par « noire » il faudrait entendre « effroyable », « terrible ». Et pour cause, elle tuera 30 à 50% des Européens en moins de 7 ans, de 1346 à 1353.
Cette nouvelle émergence de la peste se fonde dans une société ayant évolué mais pourtant toujours éloignée de saisir la nature animale de la peste. En observant la peste noire, nous chercherons à montrer que sa propagation et sa transmission sont indissociables d’une étude des sociétés humaines, tant l’épidémie semble répondre à leurs développements et aux réactions collectives des êtres humains contre le fléau qu’ils installèrent. Face à un sujet qui demande une certaine longueur pour être traiter correctement, les titres des « sous-sous-partie » ont été malgré tout laissés pour faciliter la lecture.
- Les flux humains et commerciaux : une condition sine qua non pour une propagation à grande échelle
- L’installation du triptyque rat, puces et hommes
Quant à leur arrivée en Europe, deux hypothèses s’opposent : l’une met l’accent sur le retour des croisés européens de Palestine s’étant fait accompagner par le rat au XIe siècle puis par les bateaux venant d’Orient au XIIe siècle, l’autre mise sur une arrivée plus lointaine lors des invasions des barbares du Ve siècle qui avaient pour habitude de se déplacer en long convois accompagnés de leurs familles, vivres et bétails.
Quoiqu’il en soit, les fouilles paléozoologiques montrent sa présence culminante à la fin du XIIIe et au XIVe siècle. En effet, grand parasite (ou ami) vivant au dépend de l’homme, l’organisation de la société du XIIIe siècle était particulièrement propice à la profusion du rat.
Cette large période a connu un climat favorable aux bonnes récoltes à la campagne et la mise en place de larges défrichements en faveur de l’agriculture notamment en Bohême, source d’un bond démographique et économique notable. En a découlé un développement désorganisé des principales villes européennes au cours du siècle et un réseau d'égout primaire largement dépassé. Dans cet accroissement de l’activité, greniers pleins, nouveaux entrepôts, ports et cales des navires connectés à l’Orient sont devenus des refuges privilégiés des rats qui y ont rapidement créés des refuges. Ainsi, boulangers, bouchers, meuniers furent des professions particulièrement touchées du simple fait que le rat se nourrissait, aux dépens de l’être humain, des restes souvent abandonnés sur la route ou des réserves de l’arrière-boutique (Audoin-Rouzeau, 2003).
Et pour cause, si la responsabilité des sociétés humaines se développant est indéniable, le rat noir est dans sa nature un animal d’une grande adaptabilité, capable de suivre l’homme (presque) partout. C’est un animal très fécond, qui grimpe habilement et qui reste discret (du moins en Europe). Quant au surmulot, il parcourt 100 mètres en moins de 10 secondes, fait des bonds de deux mètres et nage particulièrement bien à la différence du rat. Ces deux espèces de rongeurs ont colonisé le monde à bord des navires de l’homme et dans les deux cas elles ont anéanti les populations de rongeurs locaux qui étaient souvent plus résistants au bacille de la peste. (Signoli, s. d.)
Quant aux puces, ce sont les travaux de Paul-Louis Simond qui en 1898 ont pu faire apparaître son rôle vecteur de la peste. Alexandre Yersin démontra par la suite l’identité de la peste des rongeurs à celle de la peste humaine. Enfin, des observations et expérimentations en 1928 permirent d’identifier avec précision l’espèce propagatrice des pestes d’Occident.
Les puces constituent le principal vecteur de la peste noire, il est donc essentiel de bien comprendre leurs fonctionnements et leurs caractéristiques.
Les puces et particulièrement la puce du rat d’Europe a la faculté de piquer des hôtes temporaires en l'absence de son hôte habituel. En l'occurrence, l’homme est cet hôte inhabituel.
Ainsi, il a été observé qu’après la piqûre d’une puce infectée, le rat désormais infecté par la peste modifie son comportement : il ne se toilette plus, se laisse piquer et va mourir à la lumière des hommes en sortant de son habitat naturel habituellement caché dans l’obscurité (Vitaux, 2010). La puce « de fourrure », toujours en quête de sang, cherche alors rapidement un nouvel hôte de remplacement et saute possiblement sur un homme. Un homme puisque d’une part, les populations de rats s’amenuisent vite et que d’autre part le rat, comme vu précédemment, vit au contact de l’activité des hommes et y meurt à ses côtés.
- La question de l’entrée de la peste en Occident inculpe l'être humain
Les historiens sont en désaccords sur l’origine exacte de la peste noire. Toutes les hypothèses envisagent néanmoins une propagation plaçant l’homme au centre du cheminement de la peste jusqu’en Europe et toutes insistent sur l’importance des routes de la soie (Byrne, 2012).
L’hypothèse la plus développée est celle ramenant l’origine de la peste aux territoires mongols de la Horde d’Or. Selon cette hypothèse, les rongeurs des hauts plateaux de l’actuelle Chine étaient infestés de puces portant le bacille Yersinia pestis (bacille de la peste noire, du nom d’Alexandre Yersin qui l’a isolé). Face à une période de sécheresse due à un réchauffement climatique ces rongeurs, affamés, sont descendus vers les villes. De là, les puces ont trouvé comme hôte plus adapté au milieu urbain les différentes espèces de rats (on rappelle qu’ils sont eux aussi issus d’Asie). Dans un contexte d’ouverture des routes de la soie favorisées par la Pax Mongolica, (toutes les répercussions stabilisatrices des conquêtes mongoles sur la vie culturelle, sociale mais surtout commerciale en Eurasie), les rats auraient navigué par bateau le long de la route du Sud ou les puces à travers les tissus transportés par caravanes des marchands tout au long de la route du nord.
Principales routes de la soie empruntées depuis la fin de l’Antiquité.
Wikimedia Commons - créateur anonyme
Pour autant, une autre hypothèse nuance le rôle du commerce dans l’entrée de la peste en Europe pour privilégier le rôle d’une pratique tout aussi récurrente chez l’homme : la guerre. Au cours du XIVe siècle, à la tête d’un gigantesque empire hérité de Gengis Khan, l’islamisation de plusieurs chefs mongols a conduit à des troubles politico-militaires majeurs ayant provoqué de nombreuses guerres. (Audoin-Rouzeau, 2003).
Il est assez évident que l’organisation préalable d’une guerre et que le champ de bataille en lui-même soit déjà une source de transport de la peste. La bataille est toujours précédée d’une mobilisation des troupes, parfois venant de plusieurs territoires se réunissant sous une même bannière avant de partir groupé vers un lieu d’affrontement. De larges campements sont par la suite installés, des convois s’emploient aux allers-retours pour l'approvisionnement, etc. Si bien qu’avant même que le conflit physique éclate, la guerre constitue un brassement massif d’individus pour l’époque et donc aussi de transports de vivres sur de longues distances. Lorsque l’affrontement s’achève, le terrain souillé est particulièrement propice à la circulation de la peste : les cadavres sont souvent abandonnés sans même être brûlés et les puces qui peuvent se gorger de sang en sautant de l’un à l’autre prolifèrent. Certaines troupes se retirent, d’autres avancent dans leur conquête puis le cycle recommence. Dans ces mouvements, il est bien connu que l’Himalaya constituait une barrière infranchissable pour les cavaliers mongols. Le fait d’avoir justement extrêmement peu de descriptions de la maladie en Inde va dans le sens de l’implication des mongols dans la dissémination première de la peste noire.
C’est au détour d’un stratagème de guerre déjà relevé dans la première partie qu’en 1346 les Mongols de la Horde d’or précipitèrent véritablement la diffusion de la peste vers les quatre continents au cours du siège de la cité génoise de Caffa. Cette ville de Crimée était un comptoir d’échange et un port de la Mer Noire largement connecté. La peste accompagnait les mouvements de troupes des Mongols de la Horde d’or. Face à une cité particulièrement bien défendue, ces derniers catapultèrent leurs cadavres infectés par-dessus les portes de la ville pour contaminer les habitants., signant ainsi l’une des premières utilisations d'armes biologiques par l’être humain (Debord, Binder, Salomon et Roué, 2002).
Le médiéviste français Boris Bove soutient quant à lui l’hypothèse de rats mongols se frayant un chemin depuis le siège jusque dans la ville génoise. Quoiqu’il en soit, faute de troupes suffisantes en état, les deux parties signent une trêve dans la panique face au fléau qui les emportaient tour à tour. Les bateaux génois purent donc quitter dans le désarroi le port de Caffa… accompagnés des rats portant les puces infectés dans leurs cales. L’épidémie se retrace dès lors remarquablement au fil des haltes des navires le long du pourtour méditerranéen. Constantinople sera la première grande ville atteinte en 1347, puis viennent Gênes et Marseille en novembre, Pise en janvier 1348, Venise, etc. En un an, la peste s’installa sur les côtes méditerranéennes par les mouvements de l’être humain.
Dans Histoire de la Peste, Jean Vitaux conclut de la sorte : (aucune idée de qui c’est en vérité) « C’est ainsi toujours par le fait de l’homme et non du rat que la peste entre dans les localités » (Vitaux, 2010).
- Étalement de la peste : le paradoxe du taux de mortalité implique activement l’être humain dans sa diffusion
Entrer dans les foyers de peuplement est une chose, reste que la peste noire a dévasté en moins de cinq ans la quasi-intégralité de l’Europe par son extension de Chypre à l'Irlande. Elle a conquis l’Asie depuis l’actuel Yémen jusqu’aux frontières de la Sibérie et a même emporté une large partie de la population en l’actuelle Éthiopie et Ghana. Se propage-t-elle dans l’air pour obtenir une propagation aussi fulgurante ? Avait-on à faire à la variante aussi volatile que mortelle, à savoir la peste dite « pulmonaire » ?
On touche là à un paradoxe entre létalité et nombre d’infectés seulement résoluble par la prise en compte de l’activité humaine (Vitaux, 2010).
Les sources sont diverses et éparses mais une estimation fiable de la fourchette large du nombre de victimes peut être effectuée : la peste noire aurait emporté entre 1347 et 1351 environ 30 à 50% de la population européenne. À l’échelle mondiale le calcul se complique encore mais on estime de 75 à 200 millions le nombre de victimes ayant succombé de l’épidémie ou de ses conséquences directes. La peste pulmonaire est paradoxalement trop létale pour un si grand nombre de victimes, une propagation aussi large n’aurait donc jamais pu avoir lieu, les infectés succombant dans les quelques jours qui suivent à l’infection.
Triomphe de la mort - peinture de Peter Brueghel l'ancien finie en 1562. Le tableau dépeint très allégoriquement les ravages de la peste noire.
Pourtant, même dans le cas de la peste bubonique, on place le taux de mortalité à 70% et la mort arrive dans la semaine suivant l’infection, de sorte que l’individu mourrait isolé, sans être au contact de nombreux individus. Les symptômes de la peste bubonique ont marqué l’imaginaire : fièvre aiguë, prostration, gonflement des ganglions, bubons, coloration noire de la peau et septicémie causant la mort en 5 jours - si létale qu’on observe que les épidémies ne durent que rarement plus de 9 mois mais aussi qu’elles se déplacent étrangement rapidement sur le territoire (l’image de la vague est intéressante pour représenter la propagation). D’autant qu’elle frappa une population déjà fragilisée par les épidémies précédentes, notamment de typhus, et par la guerre de cent ans qui faisait par période son lot de victimes et de blessés. Sans oublier plusieurs famines qui se déclarèrent en parallèle de la peste, en partie comme conséquence de cette dernière.
Après son entrée, la peste semble donc encore se propager sous l’aile ignorante des humains.
Sur les longues distances, seuls les mouvements de marchandises truffés de rats ou directement de puces peuvent expliquer la diffusion : comme nous l’avons vu, la létalité de la peste empêche la migration d’une population infectée sur la longue distance. C’est donc bien par un flux permanent de trafic naval, fluvial et routier que la diffusion de la peste s’explique en seulement quelques années. Nous reviendrons aussi sur l’influence des pèlerins dans cette propagation. (@NatGeoFrance, 2020)
Après les carrefours commerciaux comme la ville de Marseille en France, la peste remonta avec l’homme marchand par les fleuves et la route, toujours en infectant les villes puis les villages des alentours. Cette figure de l’homme marchand propagateur est particulièrement pointée par les écrits anciens. On retrouve dans ceux-ci presque toujours le marchand de tissus, de chaussures, de chapeaux… comme l’introducteur de la peste dans les villes enclavées. Les puces infectées véhiculeraient directement dans les ballots de marchandises enveloppées du marchand. Le moment de l’ouverture de ces ballots dans les villes est souvent cité au commencement de l’épidémie.
Par une prise de recul sur l’époque, on constate donc que la peste n’est pas un fléau qui s'abattait sur l’être humain inconditionnellement mais une zoonose s’étant transformée en anthropozoonose par un contact construit de l’humain avec le rat qu’on peut retracer. La peste évolua dans le reflet de la concentration humaine, des flux humains et commerciaux à l’échelle mondiale. Comme nous allons le voir, les savoirs et croyances humaines employées dans la lutte impacteront elles-aussi la propagation de la peste.
- La société du XIVe et ses mœurs désarmées face au fléau
- La religion comme exutoire, un rôle central dans la propagation
Seuls les plus lettrés pouvaient nommer par d’obscurs écrits le terrifiant souvenir de la peste de Justinien. En Europe, la peste noire frappa certes suite à de nombreuses autres épidémies, mais la létalité et la rapidité de sa propagation choqua et distingua clairement cette dernière des maladies précédentes. À l’encontre de la peste, le voile de la religion chrétienne recouvra plus lourdement que jamais les sociétés européennes. Son rôle central dans l’organisation de la vie des habitants et ses prérogatives s’opposant au « rationalisme » de la médecine gallienne participa à la propagation rapide de la peste au sein des villes (Fléaux et Société - Françoise Hildesheimer | Cairn.info, s. d.).
La définition de la religion que donne Durkheim dans les Formes élémentaires de la vie religieuse éclaire ce premier aspect communautaire qui a favorisé les interactions proches de la population. Il l’a décrit ainsi : « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées (...) ». La religion se fonde évidemment sur la croyance, mais elle se fonde dans la pratique par un ensemble de rites qui régissent la vie de l’individu. L’aspect communautaire est donc central dans la religion, particulièrement dans la pratique de la religion au XIVe siècle et par-dessus tout en temps de peste, lorsque l’individu cherche profondément la solidarité humaine (nous le verrons plus loin, la « déchéance de la compassion » fut parfois décriée).
Parmi les processions organisées, une se distingue par son importance sous le pape Clément VI : un million de pèlerins partirent pour Rome où repose la tombe de l’apôtre Pierre. 100 000 seulement revinrent, la peste étant favorisée par les regroupements et les déplacements. Après ces événements tragiques, l’obligation de pèlerinages des Anglais et des Irlandais fut levée.
Un ange pointe du doigt un pécheur (non représentée) au démon de la peste, une victime de l'épidémie dans une peinture du XVe siècle
Photographie de PRISMA/ALBUM
Quant aux moines des monastères, leur multiplication en temps de peste érigea de nouveaux foyers épidémiques tandis que d’autres firent le choix du confinement total.
La religion accompagne les hommes par le rituel jusqu’à sa mort. Dans les premiers temps de l’épidémie, les rites mortuaires participèrent largement à la propagation de la peste à travers notamment le transport des vêtements des pestiférés chargés de puces infectées après les veillées mortuaires. Néanmoins, fautes de religieux en vie et de moyens techniques, ils furent rapidement raccourcis ou laissés aux pestiférés eux-mêmes comme en Angleterre, jusqu’à être totalement évités. Les cadavres, parfois encore vivants, étaient alors amoncelés avec de la chaux vive dans des fosses communes la nuit lorsque le nombre de morts journaliers avoisinait les mille.
- Un paradigme scientifique entièrement dépassé : le voile de la médecine des humeurs et la contre productivité totale des standards d’hygiène
S’accrochant à un paradigme médical dépassé, l’être humain à travers la médecine du XIVe siècle et les mœurs qu’elle favorisa, participera à aggraver la situation des malades.
Le paradigme de l’époque est celui de la médecine des humeurs qui trouve sa source plus de mille ans auparavant chez les penseurs de Grèce antique et particulièrement dans les travaux d'Hippocrate et de Galien (SENDRAIL, 1980).
Premier problème, la médecine des humeurs ne laissait pas penser le phénomène de contamination comme fait d'une entité propre : la maladie. Au contraire, elle envisageait le développement de la peste comme source d'une cause interne de déséquilibre entre les quatre humeurs fondamentales (sang, bile, bile noire et phlegme) respectivement attachés aux quatre éléments majeurs : l’air, le feu, la terre et l’eau. Le médecin et théologien Arnaud de Villeneuve ajoutera à cette perception l’influence des astres. Il établira ainsi le rapprochement entre l’alignement particulier des astres et plusieurs déséquilibres du corps.
Le processus de contamination sera néanmoins approché par l’idée que ces vapeurs toxiques qui émanent des cadavres et corrompent l’air, causeraient finalement les déséquilibres de l’être. Mais la maladie étant pensée par la médecine des humeurs comme une forme de génération spontanée, les standards d’hygiène reflétaient naturellement dans les habitudes cette croyance.
Ainsi, face à ces vapeurs qui entreraient par les pores de la peau, les médecins avisaient de freiner toute activité qui dilaterait les pores, d’où le conseil problématique d’éviter au maximum les bains chauds. La peur de l’eau se développa donc du XIVe jusqu’à culminer au XVIe, où la toilette sèche devint la norme.
Comme partiellement mentionné dans la première partie, le manque d’hygiène global des villes et des citoyens fut un facteur déterminant permettant la profusion des rats. En effet par la promiscuité due à l’expansion non contrôlée des ville et l’insalubrité due au manque de système d’évacuation, des ordures et des eaux usées jonchaient les rues et offraient un environnement de choix pour le rat noir et le surmulot. Les nombreux mendiants furent les premières victimes, puis vint les « pauvres » car leur maison était entièrement perméable aux rats. Les riches ne furent pas pour autant épargnés (c’est surtout vrai au XIVe et moins pour les résurgences du XVe et du XVIe) - à titre d’exemple les puces infectées trouvaient refuge dans leurs perruques ou leurs fourrures. On changeait peu de linge au XIVe, cela a favorisé la présence des puces qu’on ne soupçonnait pas.
Un médecin de peste durant épidémie à Rome du XVIIe siècle. Tunique, gants et protection complète : le surnom « Doctor Schnabel » signifie « Docteur bec ». Gravure de Paul Fürst, 1656
Aussi, les « soins » décrits par les docteurs de l’époque dans leurs manuels de médecine ont marqué l’imaginaire collectif par leur opposition franche avec nos standards de médecine moderne. Ils amenaient à une aggravation de l’état du patient ou à la mort en l’affaiblissant. Par exemple, la pratique de la saignée chez les malades par ouverture du bras ou par la pose de sangsues est particulièrement raillée face à son absurdité apparente aujourd’hui.
Ces pratiques censées théoriquement réguler l'excédent d’une humeur dans le corps sont néanmoins à prendre avec des pincettes : si elles étaient effectivement proposées dans leurs écrits, leur mise en place concrète reste parfois marginale. En effet, bien que reposant sur les croyances et les écrits grecs, les médecins du XIVe siècle ont aussi fait l’épreuve concrète de la peste et il est évident que la saignée leur serait apparue rapidement contre effective. D’autant qu’il faut prendre en compte la place sociale bien différente des médecins de l’époque. Les médecins du XIVe siècle étaient d’une part des hommes bien souvent du peuple, avec une autorité réduite, considérés d’autre part comme des clercs. Ils ne palpaient ni n’examinaient donc réellement les malades. Ainsi, l’excision des bubons et des abcès étaient curieusement réservé aux barbiers. Par soucis d’hygiène et de technique nette, ces excisions menaient le plus souvent à une infection chez le malade, précipitant alors sa mort. La distinction entre chirurgien et barbier n’interviendra qu’au XVIIe siècle, sous l’influence d’auteurs de médecine musulmans. (Lähteelä, 2010)
D’autres pratiques tout aussi dangereuses que la saignée pour le patient étaient toutefois bien entreprises, comme le fait d’appliquer sur les bubons des cataplasmes de produits répugnants dans l’idée que la puanteur chasserait le poison. Là aussi, elles menèrent à des surinfections.
- Néanmoins un progrès notable de la rationalité dans les mesures concrètes : un être humain actif face à la peste
Il est toutefois à noter un progrès dans la rationalité des mesures employées pour lutter contre la peste comparée à l’épidémie de Justinien. Il faut rompre avec l’image passive du citoyen face à la peste. L’être humain, pourtant frappé de plein fouet, n’est pas resté paralysé face au fléau. Il a cherché des explications à la hauteur de ses savoirs, que ce soit dans la démarche médicale ou dans les mesures externes des autorités sanitaires visant à juguler la peste malgré l’incompréhension globale (il faudra à titre de comparaison attendre le XIXe siècle pour véritablement découvrir l’existence des micro-organismes et l’influence du rat et des puces dans la propagation) (Lähteelä, 2010).
Le premier combat de la rationalité médicale s’est joué dans sa démarcation avec la religion. Sous l’influence de l’Ancien Testament, les religieux qui détenaient le pouvoir politique insistaient sur la centralité du péché face à celle de la maladie et la médecine dite monastique poussait la culpabilité de l’homme au plus loin. Les médecins luttaient donc dans leurs écrits contre ces idéaux morbides. Ils soulignaient tous que l'épreuve n'était pas simplement spirituelle, que l’abandon à la merci divine n’était pas la solution, que les remèdes utilisés pour combattre la peste avaient eux aussi été placés sur Terre par Dieu et que se faire soigner n'attisera pas son courroux.
Ainsi, malgré son inefficacité et sa dangerosité, le processus de recherche de remèdes employait une démarche rationnelle cherchant à comprendre la mécanique corporelle. L’expérience de la peste noire mena les médecins à une véritable restructuration et leur permit d’accéder à une place sociale supérieure. Ils formeront face aux futures épidémies de peste ce que deviendra la médecine moderne que nous étudierons dans la troisième partie.
Le Décaméron de Boccace fut malgré tout écrit au coeur de la peste (entre 1349 et 1353). Dans la description de la « Première journée », on retrouve un aperçu du climat ambiant et une référence aux docteurs antiques :
« Combien de vaillants hommes, que de belles dames, combien de gracieux jouvenceaux, que non seulement n'importe qui, mais Galien, Hippocrate ou Esculape auraient jugés en parfaite santé, dînèrent le matin avec leurs parents, compagnons et amis, et le soir venu soupèrent en l'autre monde avec leurs trépassés. »
Enfin, l’impact des décisions de l’être humain face à la peste culminera dans les mesures préventives prises par les autorités sanitaires. Là encore, on insistera sur son rôle actif face à l’adversité. (Signoli, s. d.)
Le confinement fut l’une de ses mesures, mais était souvent réservé à la classe la plus aisée qui avait les moyens de s’isoler du reste du monde dans ses châteaux ou abbayes.
À l’échelle de l’isolement, plusieurs villes d’Italie furent en avance : dès la première année de l’épidémie (en 1348), elles interdirent l’entrée des individus provenant des autres villes infectées. Certaines d’entre elles décidèrent un isolement total de la ville lors du retour de la peste noire en Europe. Plus largement, la pratique du recensement régulier se développa et la quarantaine temporaire pour les bateaux ou même les habitants entrant se démocratisa.
De plus, et ce fut le cas à Florence, les politiques de la ville mirent rapidement en place une surveillance qualitative des ravitaillements de vivres et portèrent une attention particulière à la santé de leurs habitants alors que les règlements d’hygiène étaient auparavant inexistants. Progressivement se mettront en place des “règlements de peste” dirigés par un “bureau de santé” au cours du XVe siècle en France qui dictera les mesures à prendre pour juguler la propagation de la peste à défaut de savoir la soigner.
- L’individu décontenancé face à la peste noire : la menace sociale de l’anomie
L’anomie dans son sens conceptualisé par Durkheim qualifie une situation de dérèglement et de confusion des règles sociales qui isolent les individus et qui marginalise la solidarité. Si le sociologue français y voyait les conséquences de nos sociétés modernes au travail divisé, on verra que ce terme se prête convenablement aux sociétés moyenâgeuses touchées par la peste noire en portant attention à la pluralité des réactions individuelles. Sans pour autant porter de jugement, nous verrons ainsi que la tendance humaine à l’égoïsme a aggravé la lourdeur de la crise.
- Dans la panique de l’être humain : la problématique de la fuite et de l’abandon
On peut traduire l’adage hippocratique le plus récurrent dans les écrits des médecins par « Fuyez loin et revenez lentement ». On rapporte de fait que les riches, nobles, bourgeois et souvent ecclésiastiques fuyaient à l’arrivée de la peste, quitte à abandonner toutes leurs possessions matérielles qui devenaient bien futiles derrière eux. Ils allaient généralement se réfugier dans leur château ou maison de campagne. Ainsi, l’être humain dissémina dans ce même geste de fuite l’épidémie dans les quelques endroits où elle n’avait pas encore frappé (Vitaux, 2010).
Similairement, on retrouve souvent dans les écrits la problématique de l’abandon par les médecins des villes infectées. Comme nous l’avons vu, ceux-ci étaient parfois des « gens du peuple » reste que la partie qui possédait les moyens de fuir, partait. Des médecins à prix d’or furent alors recrutés par les villes contaminées pour intervenir, ce fut par exemple le cas d’Avignon au XVe siècle, tandis que son Pape Clément VII se réfugia dans la panique à Beaucaire. Certaines villes ont tout bonnement interdit aux médecins de sortir du territoire.
De même, Leonardo Fiovaranti était un médecin italien du XVIe siècle. Dans son ouvrage Del regimiento della peste il traite longuement de la thématique de l’abandon, signe qu’elle était récurrente dans les attitudes face à la peste. Assez dramatiquement, il la présente comme tuant autant que la peste elle-même. Il évoque à ce titre la "mort par désespoir" des malades abandonnés à la fois par leurs proches et par les médecins, destinés à mourir isolés. Plus largement même, l'auteur décrit la Peste comme signe de la "déchéance de la compassion" dans la société italienne. Nous avions évoqué le manque de religieux pour assurer les rites funéraires, avant même cela, de nombreux ecclésiastiques refusèrent tout bonnement de voir les malades se confessant, d’assister aux veillées mortuaires et de réaliser les enterrements. De la même sorte, les proches des malades abandonnaient très souvent ces derniers qui succombaient isolés lorsque les médecins aussi, refusaient de les voir (Lähteelä, 2010).
- Exacerbation du déchirement social par les recherches irrationnelles de cause à la Peste
Dans l’affrontement entre péchés des humains et explication de la médecine des humeurs, le fléau n’était pas compris. La peste frappait indistinctement riches comme pauvres, bons comme mauvais mais les symptômes étaient ceux de l’ultime punition divine. Dans cette confusion profonde, l’être humain chercha inlassablement à se raccrocher à une explication pour combler le vide de son insupportable ignorance. Cette situation paranoïaque ouvrit la porte à la mécanique du bouc émissaire. Chez d’autres, la perte de repères fut telle qu’on observa des phénomènes sociaux troublants par leur étrangeté. La somme de ces phénomènes humains participa au déchirement social et donc à l’accentuation du poids de la peste.
La minorité juive fut particulièrement visée. Les persécutions qu’ils subissaient se couvraient entre autres d’une rumeur qui se répandit rapidement : les juifs, épargnés par la peste, empoisonneraient les puits des villes et profaneraient des hosties. Dès 1348 surgirent des soulèvements antisémites en Provence, une synagogue fut incendiée à Saint-Rémy-de-Provence, le quartier juif de Barcelone brûlé… Puis les massacres arrivèrent avec la propagation plus large de la peste : parmi d’innombrables massacres entre 900 et 2000 juifs furent brûlés à Strasbourg et 6000 à Mayence. En Suisse ils furent torturés jusqu’à avouer sous la douleur leurs méfaits d’empoisonnement des puits. Ils furent aussi directement noyés dans les fleuves. (Drescher, 1973)
Cette communauté fut la source de la plus grande animosité pour deux raisons identifiables.
Premièrement, la communauté juive détenait le petit commerce de l’argent, une place qui leur causa la haine des débiteurs endettés qui profitèrent grandement de leur exécution. La question de l’argent était justement souvent invoquée dans leur “procès”.
De plus, les juifs investissaient souvent les métiers de médecins, d’apothicaire et d’épiciers. Leur faculté à se procurer un panel de substances et leur connaissances médicales étaient des preuves supplémentaires aux yeux des agresseurs.
Le roi de France Philippe VI ordonna leur qu’on les pourchasse en juillet 1348. Certains fuirent vers l’est en Pologne et Lituanie, augmentant encore les mouvements de population en temps de peste. (Ribémont, 2008)
Les Chroniques rédigées par Froissart au XIVe, résument bien le climat d’angoisse : « En ce temps-là, et généralement par tout le monde, les Juifs furent pris et brûlés, et les seigneurs chez qui ils demeuraient acquirent leurs biens ».
Dans la péninsule ibérique, les musulmans furent pourchassés selon un schéma similaire mais dans une moins grande ampleur. À vrai dire, toutes les personnes isolées de la société dominante étaient visées : ce fut aussi le cas de mendiants qui finirent exécutés, de lépreux et même de certains pèlerins.
Ce climat d’horreurs humaines conjuguées à la violence de la peste augmenta l’angoisse ambiante. Dans cette vie permanente au contact mort, l’anomie, la perte de repère, transparaît notamment par les processions de flagellant. Ces groupes se réunissaient de 50 à 300 et voyageaient pendant 33 jours de ville en ville en se flagellant mutuellement en public, torse nu avec des lanières de cuir cloutées. Ils furent excommuniés et leur chef brûlé.
Parmi les phénomènes sociaux étranges qui contribuèrent à propager la peste, le cas des « danses maniaques » ou « manies dansantes » dénote. Les manies dansantes sont des crises d’hystérie collective observées notamment en Allemagne et en Alsace. Subitement, des groupes d’individus se mettent à se mouvoir, à danser de manière étrangement désarticulée jusqu’à tomber de fatigue (toujours en se tortillant à terre) et mourir. Ces réunions parfois mouvantes attiraient les passants qui rejoignaient alors la déambulation. Parfois, un prêtre arrivait à diriger les « danseurs » pour les emmener en pèlerinage. (Car on attribuait évidemment à ces danses possédées l'œuvre du diable). (Fléaux et Société - Françoise Hildesheimer | Cairn.info, s. d.)
Danse macabre (le lien avec les manies dansantes n'a jamais été prouvé). Les représentations de la mort s'ancre dans l'iconographie des siècles suivant la peste noire.
Peinture du XVI°s - peintre inconnu
- Et pourtant toujours un lendemain
Dans son quatrième chapitre Jean Vitaux introduit ainsi la peste noire : “Après l’expansion économique du Moyen Âge au xiiie siècle, la peste noire allait être la plus grande épidémie que connut l’Europe et peut-être le monde, jusqu’à la destruction des Amérindiens par les épidémies de rougeole et surtout de variole après la conquête du Mexique par Cortés.”
Il est impossible de connaître précisément le nombre de victimes de la peste noire faute de sources démographiques fiables. Par les témoignages des médecins, des ecclésiastiques et les premiers recensements des villes, les historiens établirent néanmoins des estimations assez larges. Entre 1346 et 1353, à savoir la première grande épidémie de peste, on estime le bilan des victimes de 75 à 200 millions. 1/3 de l'Europe aurait au minimum succombé au fléau. L'Italie aurait perdu quant à elle au moins la moitié́ de sa population ; l’Angleterre 60% et certains villages furent tout bonnement balayés. Des faits innocents d’apparence laissent un terrifiant aperçu du fléau comme lorsqu’on signale des pénuries de cierges, de cercueils et que les fosses communes deviennent monnaie courante dans une société pourtant profondément croyante.
Paradoxalement, le plus troublant reste peut-être la résilience des sociétés humaines. Les quelques vers du poète Pétrarque témoignent du souvenir laissé aux survivants : « Consultez les historiens, ils gardent le silence ; interrogez les médecins, ils sont glacés de peur ; adressez-vous aux philosophes, ils vous répondent par un geste négatif. La postérité pourrait-elle croire à tant de malheurs, lorsque nous y croyons à peine, nous qui en avons été témoins… ? Heureux nos arrière-petits-fils qui n’auront pas vu ces calamités, et qui peut-être regarderont comme une fable le récit que nous en ferons. »
Tellement de mort qu'on attribue à cette démographie bouleversée des avancées sociales majeures : face à une masse de paysans bien plus faible, les survivants gagnèrent grandement en niveau de vie en négociant leur statut avec leur seigneur. Ces derniers ayant perdu toute mainmise sur leurs paysans, la peste contribua ainsi à la chute du féodalisme.
Comme nous l’avons vu, par sa létalité, l’épidémie durait rarement plus de 9 mois et il est curieux d’observer les grands bons de natalité entre deux. Néanmoins des épisodes importants de peste se signaleront jusqu'au XVIIe en Europe, il faudra ainsi attendre plusieurs centaines d'années, dans la deuxième partie du XVIIe, avant de retrouver le niveau démographique du début du XIIIe. Le cataclysme marquera enfin à vif l'art de la renaissance notamment par l'image de la mort qu'on retrouvera particulièrement dans la poésie et les peintures (SENDRAIL, 1980).
La propagation de la peste noire à une échelle décuplée reposa sur l'activité humaine : l'être humain installa inconsciemment le rat dans le monde et un terrain propice à la profusion des puces sur son propre territoire. De même, l'être humain se responsabilisa par sa prise en charge ou sa fuite face au fléau. Mais alors confronté à un dieu insensible à sa souffrance, le cataclysme déchaîna les penchants les plus sombres de l'humain qui chercha inlassablement un bouc émissaire sur lequel reporter ses maux. La période tourmentée fut aussi un pivot de l'histoire : elle marqua le début d'un renouvellement des sociétés féodales et la chute des grands empires. Si elle mit sérieusement la société européenne sur le fil de sa survie, elle sera pourtant petit à petit oubliée. Si bien qu’il ne nous en reste qu’un vague souvenir de période sombre et morbide. Ces enseignements de la peste seront laissés de côté sûrement un peu trop vite face aux résurgences de la maladie qui viendront bouleverser le monde moderne selon les problématiques nouvelles du XIX et du XX°s.
Bibliographie de la partie n°2 :
Audoin-Rouzeau Frédérique, 2003, Les chemins de la peste: le rat, la puce et l’homme, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
Byrne Joseph Patrick, 2012, Encyclopedia of the Black Death, ABC-CLIO.
Debord T., Binder Philippe, Salomon J. et Roué René, 2002, « Les armes biologiques »,. Topique, vol. no 81, n° 4, p. 93‑101.
Drescher Seymour, 1973, « Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme »,. Annales, vol. 28, n° 5, p. 1153‑1157.
Fléaux et Société - Françoise Hildesheimer | Cairn.info, Adresse : https://www.cairn.info/fleaux-et-societe--9782010204593.htm [Consulté le : 7 mars 2021].
Lähteelä Heli Maria Mirjami, 2010, « Order and meaning from the chaos of plague: doctors writing about the plague in fifteenth- and sixteenth-century Italy »,. Adresse : https://ses.library.usyd.edu.au/handle/2123/7112 [Consulté le : 7 mars 2021].
Moutou François, 2020, « Les zoonoses, entre humains et animaux »,. La Vie des idées. Adresse : https://laviedesidees.fr/Les-zoonoses-entre-humains-et-animaux.html [Consulté le : 7 mars 2021].
@NatGeoFrance, 2020, « Rapide et fatale : comment la Peste Noire a dévasté l’Europe au 14e siècle »,. National Geographic. Adresse : https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2020/04/rapide-et-fatale-comment-la-peste-noire-devaste-leurope-au-14e-siecle [Consulté le : 7 mars 2021].
Ribémont Bernard, 2008, « David Nirenberg, Violence et minorités au Moyen Âge »,. Cahiers de recherches médiévales et humanistes. Journal of medieval and humanistic studies. Adresse : http://journals.openedition.org/crm/292 [Consulté le : 7 mars 2021].
SENDRAIL Marcel, 1980, Histoire culturelle de la maladie, Toulouse, Privat.
Signoli Michel, 2018, La peste noire, Adresse : https://www-cairn-info.portail.psl.eu/la-peste-noire--9782130811824.htm [Consulté le : 7 mars 2021].
Vitaux Jean, 2010, Histoire de la peste, Presses Universitaires de France. Adresse : https://www-cairn-info.portail.psl.eu/histoire-de-la-peste--9782130584094.htm [Consulté le : 7 mars 2021].
Jason Patoureaux
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