Une photographie d'Oran utilisée comme carte postale dans les années 40-50, la ville dans laquelle l'intrigue de La Peste rédigée par Camus en 1947 se déroule.
Le 4 novembre 2020, le Danemark a décrété l’abattage de plus d’une dizaine de millions de visons porteurs d’une mutation du covid-19. Ceux-ci ayant déjà contaminé une dizaine de personnes, les organismes de santé redoutent que cette nouvelle mutation compromette l’efficacité d’un nouveau vaccin.
Chaque semaine de l’année 2020, l’actualité a remis sur le devant de la scène la problématique de la propagation des virus. L’origine du covid-19 fait ainsi partie des sujets centraux de cette année et de multiples hypothèses ont été avancées. S’agissait-il d’une chauve-souris, d’un pangolin ou même d’un dragon de komodo ? A quelle personne faut-il imputer la faute d’avoir consommé un dangereux mets ou d’avoir commercé informellement des animaux rares ? Cette curiosité pernicieuse cherche inlassablement un bouc émissaire mais ne prend que difficilement le recul nécessaire pour comprendre la globalité du problème. On ignore ainsi souvent que 80% des maladies et des infections contractées par les êtres humains se transmettent naturellement des animaux vertébrés vers notre espèce : on parle en cela de « maladies zoonotiques ». Le processus de zoonose[1] prend de l’ampleur avec le temps, mais ce n’est pas pour autant un phénomène nouveau.
Les cas des pestes zoonotiques qui se sont succédé dans le temps dès le VIème siècle avec la peste de Justinien en sont l’exemple parfait. Les bouleversements à toutes les échelles qu’elle a entraînés et le caractère endémique[2] de la peste rendent ses problématiques encore d’actualité : la dernière en date fut recensée à Madagascar en 2017. Malgré la connaissance de l’origine animale de la peste et de la bactérie à son origine dès 1894, la peste a atteint 38 pays de 1954 à 1997 et fait 6587 décès pour 80 613 cas recensés d’après l’OMS. Pourtant, le processus de zoonose n’est en soi pas le principal responsable de la propagation de ces épidémies. C’est bien l’être humain, du fait de son développement, qui semble être l’acteur central de la transformation en épidémies ou pandémies[3] des différents cas de pestes zoonotiques que nous étudierons.
Cette centralité de l’être humain questionne : comment le déploiement des sociétés humaines (par le développement du mode de vie urbain et du commerce) est la cause des propagations des épidémies zoonotiques de peste. Quelles en sont ses conséquences (bouc-émissaire, crise sociétale, politique et économique, avancées scientifiques…) ? Ainsi, parmi rats et puces, nous étudierons dans quelle mesure l’espèce humaine a engendré et développé les pestes qui se sont inégalement abattues sur ses sociétés au cours du temps.
Afin de répondre à cette problématique, nous allons analyser en détail les trois épidémies majeures de peste de l’histoire de l’humanité ; aussi distinguées par les historiens sous le nom des trois « Grandes pestes zoonotiques ». Nous chercherons à étudier dans le contexte géographique et historique la place de l’être humain dans chaque zoonose et en contrepartie les réponses des différentes sociétés aux pestes. Nous commencerons par la première grande épidémie de peste qui eut lieu dans l’Empire byzantin (Empire Romain d’Orient) sous l'empereur Justinien en 541-767. Puis nous analyserons la peste noire qui a décimé l'Europe au Moyen Âge entre 1346 et 1353 et qui a fragilisé les structures sociales. Nous terminerons par la dernière pandémie de peste qui débuta à Yunnan en Chine en 1855 et qui se propagea inégalement dans le monde selon des problématiques nouvelles.
Chacune de ses pestes s’inscrit dans un horizon temporel différent mais régulier car environ séparé par le même nombre de siècle de la précédente (550 ans à chaque fois). Le plan chronologique nous permettra d’observer certains progrès dans les attitudes de l’homme face aux épidémies (exemple : le progrès du rationalisme médical) mais il nous permettra également de dresser les tensions nouvelles dues aux contextes changeants des époques (exemple : arrivée de la mondialisation et des inégalités de développements). On se permettra évidemment de construire des ponts entre les parties dans l’optique d’éviter les répétitions et afin de repérer les points récurrents dans l’attitude de l’homme.
[1] Les zoonoses sont les maladies et les infections qui se transmettent naturellement des animaux vertébrés à l'être humain et inversement. On entendra ici « zoonoses » de (zoon, « animal » et de noson, « maladie ») comme étant les maladies humaines qui proviennent d’une transmission d’une bactérie, virus ou tout autre microorganisme animal.
[2] Le caractère endémique d’une maladie est sa persistance infectieuse au sein d'une population ou d'une région. La peste est ainsi endémique dans les populations de rongeurs de certaines régions d’Afrique et d’Asie.
[3] Épidémie qui s’étend à une population entière, à un continent, voire au monde entier.
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