A) De nouvelles explications de l’homosexualité : vers une légitimité de la « sexodiversité »
Une perspective mise en avant ces dernières années pour expliquer l’homosexualité animale est sa fonction sociale. Par exemple la difficulté à avoir accès à un partenaire reproducteur chez certaines espèces sociales peut conduire à l'établissement d'alliances courtes ou durables. Or les contacts homosexuels sont un des moyens efficaces de construire une alliance. Cela peut servir à apaiser des tensions au sein du groupe ou éventuellement permettre, pour un individu, d’explorer les forces et faiblesses physiques et psychologiques d'un partenaire, des informations sans doute essentielles pour agir conjointement dans un conflit avec d’autres individus. Dans Animaux Homos, l’éthologue Fleur Daugey explique que les rapports homosexuels chez les bonobos ont bien une fonction qui n’est pas reproductive mais sociale. Les relations sexuelles, tout type confondu, sont un moyen d’apaiser ou de désamorcer les conflits et les tensions sociales. Toutes les femelles d’un groupe pratiquent une homosexualité intense et poussée dont la fonction est de tisser des liens sociaux très forts entre les membres du groupe. Les primatologues observent qu’une majorité des contacts génitaux se passe entre femelles de rangs différents (65%) avec sollicitation de la part de la femelle de rang inférieur. Ainsi ces réseaux de liens sociaux entretenus par l’homosexualité permettent aux femelles de dominer socialement les mâles, situation très rare chez les mammifères. Dans ce même sens d’interprétation, les anthropologues John Watanabe et Barbara Smuts ont effectué des travaux sur les babouins olive mâles qui se montent dessus et peuvent aussi se toucher les parties génitales dans une logique de rituel ayant pour but de tisser des liens sociaux entre eux.
Une autre hypothèse explicative de l’homosexualité chez les animaux consiste plutôt à montrer que l’homosexualité animale n’est pas toujours un obstacle à la reproduction et à l’évolution dans une perspective de continuité avec la théorie de Darwin. Toujours dans Animaux Homos, Fleur Daugey explique dans la section « Sélection de parenté » que pour chaque neveu et/ou nièce viable de l’individu homosexuel, c’est 25% de ses gènes qui sont transmis. De cette manière, les individus homosexuels qui aident les autres individus de leur famille transmettent donc aussi indirectement leur patrimoine génétique. Depuis 2007 le biologiste australien Geoff McFarlane, de l’Université de Newcastle étudie l’homosexualité chez les oiseaux ; en effet ils sont le genre animal où l’homosexualité semble la plus fréquente, par exemple chez les oies cendrées c’est un couple sur cinq qui est composé de deux mâles ! Il en tire une théorie : plus l’animal a des obligations parentales légères plus il est « volage », c’est-à-dire qu’il a tendance à avoir des rapports sexuels avec plusieurs partenaires et ce quel que soit leur sexe. Or l’oiseau est l’un des animaux qui passe le moins de temps à élever des petits, libérant ainsi du temps pour « flirter » à sa guise. Pour le biologiste, cette nouvelle théorie va à l’encontre d’une idée reçue qui est que l’homosexualité est un handicap à la reproduction : les mâles ayant des rapports homosexuels connaissent le même succès reproductif que les mâles strictement hétérosexuels.
B) Un abandon des doctrines scientifiques traditionnelles vis-à-vis de la sexualité animale et humaine
Plus récemment, certains chercheurs ont cherché à dépasser la vision darwinienne d’une sexualité vouée directement ou indirectement à la survie de l’espèce ; comme chez les humains, la sexualité pourrait tout simplement relever du plaisir chez les animaux, ce qui expliquerait l’homosexualité dans la nature. La chercheuse au CNRS E. Pouydebat montre en effet que de nombreuses pratiques sexuelles humaines telles que la masturbation, le sexe oral ou l’homosexualité ne sont pas reliées directement à la reproduction mais relèvent du plaisir. Or en matière de sexualité, les humains restent des animaux « comme les autres » : toutes ses pratiques se retrouvent dans le règne animal et sont très probablement pratiquées dans le même but de plaisir chez les humains.
Pour F. Daugey, le fait qu’on ait longtemps refusé de voir que les animaux aussi peuvent simplement agir par plaisir, et que l’homosexualité animale pourrait tout simplement relever de cela, vient d’une incompréhension de la psychologie des animaux. La science a en effet, pendant des siècles, nié aux animaux la sensibilité, l’intelligence, les émotions ; on leur nie aujourd’hui la capacité d’agir par plaisir personnel. Ainsi, la raison pour laquelle on pense souvent à une forme d’utilité sociale pour l’homosexualité animale – qu’il s’agisse d’initiation, de protection des petits, etc. – n’est pas forcément parce que c’est le cas mais parce qu’il est difficile de concevoir que les animaux agissent sans un but de survie ou de reproduction10.
Ces observations de la sexualité des animaux, et la meilleure compréhension de cette dernière, permettent aussi de redécouvrir la sexualité humaine. T. Lodé explique notamment comment la structure du couple, très importante dans les sociétés humaines et particulièrement en Occident sous l’influence de la religion chrétienne, a mené à des erreurs d’analyse de l’homosexualité animale puisque de nombreux animaux ne vivent pas de cette manière11. De même, l’homosexualité a très longtemps été vue chez les humains comme exclusive, la bisexualité faisant son apparition dans le débat public assez tardivement. L’observation de la nature et des animaux permet ainsi de mettre en perspectives ces deux notions, et de comprendre que l’homosexualité peut très bien être combinée avec des rapports hétérosexuels et que l’on peut tout à fait imaginer que des humains vivent autrement qu’en couple.
Selon J. Roughgarden, les idées issues de Darwin concernant la sélection sexuelle des partenaires mâles et femelles – qui chercheraient respectivement à féconder le plus de femelles possibles et à être sélectives pour trouver le meilleur mâle possible- sont fausses biologiquement et préjudiciables socialement. Observer la sexualité animale permet alors de réaliser que cette vision a beaucoup de limites et qu’elle n’est pas forcément « naturelle » et que l’humanité gagnerait à s’en défaire. De même, B. Bagemihl insiste sur l’immense diversité présente dans le règne animal pour remettre en question l’idée que certaines sexualités humaines peuvent être naturelles et d’autres non : les humains sont, d’une certaine manière, si peu inventifs en manière de sexualité que personne ne peut déclarer que certaines orientations ne sont pas naturelles12. Les animaux permettent donc de mieux comprendre les limites de la sexualité humaine.
C) L’homosexualité animale en 2021 : vers une intégration sociétale de l’homosexualité
Animaux homos : histoire naturelle de l’homosexualité, 2019, France Culture. Adresse : https://www.franceculture.fr/conferences/palais-de-la-decouverte-et-cite-des-sciences-et-de-lindustrie/animaux-homos-histoire-naturelle-de-lhomosexualite [Consulté le : 2 novembre 2020].
Bagemihl Bruce, 1999, Biological exuberance: animal homosexuality and natural diversity., London, Profile.
Daugey Fleur, 2018, Animaux homos: histoire naturelle de l’homosexualité,
Duane Jeffery, 2004, « Dean Hamer and Peter Copeland, Living With Our Genes: Why They Matter More Than You Think, Bruce Bagemihl, Biological Exuberance: Animal Homosexuality and Natural Diversity and Joan Roughgarden, Evolution’s Rainbow: Diversity, Gender, and Sexuality in Nature and People »,. Politics and the Life Sciences, vol. 23, n° 2, p. 71‑74.
Le regard des Français sur l’homosexualité et la place des LGBT dans la société, IFOP. Adresse : https://www.ifop.com/publication/observatoire-des-lgbtphobies-le-regard-des-francais-sur-lhomosexualite-et-la-place-des-lgbt-dans-la-societe/ [Consulté le : 3 mars 2021].
L’homosexualité animale, la nature au grand jour !, France Culture. Adresse : https://www.franceculture.fr/emissions/de-cause-a-effets-le-magazine-de-lenvironnement/lhomosexualite-animale-la-nature-au-grand-jour [Consulté le : 17 novembre 2020].
Lodé Thierry, 2011, La guerre des sexes chez les animaux: une histoire naturelle de la sexualité, Paris, O. Jacob.
Aucun commentaire