A. Quelles rencontres et observations des animaux dans les recherches scientifiques ?
i. Aller à la rencontre de l’invisible par l’immersion dans les mondes animaux La visibilité matérielle des animaux n’est pas une frontière pour dépasser leur invisibilité métaphorique. Les pisteurs peuvent le faire sans forcer la visibilité animale, dans le respect des modus vivendi (modes de vie) des êtres qui cohabitent sur terre (Morizot 2018). L’objectif poursuivi est de donner du sens aux comportements animaux, souvent à distance dans l’espace-temps. Face aux traces matérielles, les pisteur.se.s déduisent des présences animales subjectives sans même les voir. En s’aventurant dans des mondes de signes différents des leurs, les humain.e.s prennent ainsi conscience d’un monde partagé.
Le pistage consiste à arpenter les sentiers, les lieux de vie et de passage des animaux à la recherche de signes matériels à déchiffrer qui témoignent de qui a été là, de ce qui s’est passé là. Le pistage met ainsi en lumière les êtres, mais également les agentivités des animaux. En effet, « rien n’existe sans laisser de traces » (Morizot, 2018). Le.la pisteur.se procède à la recherche d’empreintes sur lesquelles il.elle use de ses connaissances pour analyser et tirer le plus d’informations possible, telles que l’âge, la taille et le positionnement. Ensuite, lorsqu’il n’y a plus rien à apprendre du visible, il s’agit d’« éveiller l’œil qui voit l’invisible, l’œil de l’esprit » (Morizot, 2018). Les pisteur.se.s doivent convoquer raisonnement et imagination afin d’effectuer des hypothèses qui expliquent les intentionnalités, dévoilent les récits d’évènements passés. « Activer en soi les pouvoirs d’un corps différent » (Viveiros de Castro, 2009) ou voir au travers des yeux de l’autre permet d’adopter ses logiques et ses perspectives. Les hypothèses s’appuient sur l’apprentissage social d’une culture, d’un mode de fonctionnement animal, et ce grâce aux études ethnographiques. Néanmoins, il est nécessaire de procéder à ce décentrement avec humilité car l’expérience de pensée d’adopter les perspectives des autres ne peut être atteinte. Le pistage permet dès lors de percevoir les présences animales en donnant du sens aux invisibilités animales.
Pour mieux connaître Baptiste Morizot et le pistage, rendez-vous sur cette analyse son son ouvrage !
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Castro Eduardo Batalha Viveiros de, 2009, Métaphysiques cannibales: lignes d’anthropologie post-structurale, Paris, Presses univ. de France.
Morizot Baptiste, 2018, Sur la piste animale, Actes Sud, p.171, p.119
Morizot Baptiste, 2018, Sur la piste animale, Actes Sud, p.171, p.119
ii. Se montrer visible par la politesse dans la rencontre
Contrairement au pistage, approcher les perspectives animales peut recourir à une visibilité des chercheur.se.s lorsqu’elle s’inscrit dans une « politesse du faire connaissance » (Despret, 2014), i.e. interroger la volonté des animaux à participer aux observations. Cette politesse s’inscrit dans la reconnaissance de l’animal comme sujet qui interagit avec le chercheur.se, décide de lui répondre et de participer à l’expérience (Despret, 2002, Lestel, 2001). Elle favorise donc une relation de réciprocité où l’animal n’est plus uniquement vu mais observe, à l’inverse des visibilités animales forcées préalablement évoquées. Le chercheur.se s’ouvre à l’altérité par la quête de moyens de « faire vouloir », de donner envie aux animaux de participer (Despret, 2009).
Cette politesse permet une sympathie (Bergson) qui vise à comprendre avec les animaux afin d’approcher leurs milieux. Le.la chercheur.se « se décentre et […] se [projette] vers un animal en faisant preuve d’empathie (une capacité à déduire son état) et de sympathie pour ne rien lui dénier par avance. Le tout dans une démarche asymptotique, poussant les cloisons » des milieux (Baratay, 2012) C’est le cas de Temple Grandin (2006) qui adopte un autre mode de raisonnement, celui des animaux. Elle s’imagine à la place des animaux d’élevage afin de saisir les peurs et besoins qu’ils ne parviennent pas à exprimer. La sympathie se fonde ici sur une communication visuelle avec les animaux, puisque Temple Gaudin adopte un mode de pensée par images partagées avec les animaux.
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Baratay Eric, 2012, Le Point de vue animal: Une autre version de l’histoire, Paris, Éditions du Seuil. p.24
Delmas Corinne, 2020, « Vinciane Despret, Quand le loup habitera avec l’agneau »,. Lectures. Adresse : http://journals.openedition.org/lectures/43163 [Consulté le : 4 février 2021].
Despret Vinciane, 2009, Penser comme un rat, Versailles, Éd. Quae. p.244
Despret Vinciane, 2014, Que diraient les animaux, si... on leur posait les bonnes questions ?, Paris, La Découverte.
Grandin Temple, 2006, L’interprète des animaux, Paris, O. Jacob.
Lestel Dominique, 2001, Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion.
Delmas Corinne, 2020, « Vinciane Despret, Quand le loup habitera avec l’agneau »,. Lectures. Adresse : http://journals.openedition.org/lectures/43163 [Consulté le : 4 février 2021].
Despret Vinciane, 2009, Penser comme un rat, Versailles, Éd. Quae. p.244
Despret Vinciane, 2014, Que diraient les animaux, si... on leur posait les bonnes questions ?, Paris, La Découverte.
Grandin Temple, 2006, L’interprète des animaux, Paris, O. Jacob.
Lestel Dominique, 2001, Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion.
iii. Dépasser l’anthropocentrisme grâce à l’harmonisation des corps, révélateur d’une continuité entre humain.e.s et animaux
Penser en termes de sympathie permet d’harmoniser les rythmes humains et animaux (Lestel, 2001). Pour s’intégrer, cette « ethnographie des mondes animaux » (Lestel, 2001) se fonde sur l’observation de longue durée pour construire une familiarisation entre chercheur.se.s et animaux. C’est le cas de Barbara Smuts qui décide de se montrer visible aux babouins et de renoncer aux méthodes d’habituation où l’observateur.rice tente de faire oublier sa présence. En effet, les babouins n’oublient pas sa présence, peut-être perçue comme malpolie. Barbara Smuts se montre et adopte un mode de vie babouin en vivant avec eux. Cette harmonisation des corps permet d’adopter des « façons d’être au monde animales » (Vinciane Despret, 2014). Shirley Strum, dans une démarche similaire à Barbara Smuts, témoigne de cette harmonisation par sa soudaine décision d’uriner sans se cacher, pratique qui n’étonne pas les babouins. Elle ressent ainsi des pratiques corporelles babouins : « J’apprenais une manière totalement différente d’être dans le monde – la manière des babouins » (Smuts in Despret, 2014). L’harmonisation des corps est cruciale car elle offre des problématiques animales et non anthropomorphiques, car subordonnées « à l’exigence de savoir "ce qui compte pour eux" »(Despret, 2009). La sympathie et l’intégration de pratiques corporelles autres permettent donc une relation décentrée qui interroge les perspectives animales.
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Despret Vinciane, 2007, Bêtes et Hommes, Paris, Gallimard. p.9
Despret Vinciane, 2014, Que diraient les animaux, si... on leur posait les bonnes questions ?, Paris, La Découverte. p.31
Bessis Raphaël, 2006, « Entretien avec Dominique Lestel »,. Le Philosophoire, vol. n° 27, n° 2, p. 29‑41.
Strum Shirley-C., 2000, Presque humain / voyage chez les babouins, Paris, Eshel Editions.
B. Accorder une subjectivité et interroger les points de vue des animaux face à l’anthropocentrisme
i. Accepter des versions multiples et contradictoires qui peuvent se rapprocher des explications animales« Cultiver [...] des versions contradictoires et impossibles à harmoniser » (Despret, 2014) permet d’interroger les points de vue des animaux, d’approcher leurs mondes subjectifs sans imposer de significations humaines univoques. Les versions constituent des récits pluriels, des sens multiples que l’on peut attribuer à une expérience. Interroger les perspectives animales nécessite en effet de comparer, traduire les significations humaines, puisque chacun.e est contraint.e par son monde perceptif. Les versions visent à éviter les traductions par thèmes qui ne parviennent à prendre en compte l’altérité animale. Le thème cherche en effet une correspondance exacte entre des perceptions humaines et animales alors même que ces dernières ne sont jamais identiques. Recourir aux versions ou « équivocations » (Viveiros de Castro, 2004) exploite à l’inverse les différences entre les significations humaines et animales car « les deux équivocités ne sont pas superposables » (Despret, 2014).
Néanmoins, si les significations animales ne sont jamais atteignables pour les humain.e.s, les versions offrent des récits nouveaux, qui ne correspondent pas nécessairement avec les mondes perceptifs humains mais qui se rapprochent sans doute de ceux des animaux. « Traduire conduit donc à multiplier les définitions et les possibles, à rendre perceptibles plus d’expériences, à cultiver les équivoques, à faire proliférer les récits qui nous constituent comme êtres sensibles, liés aux autres, et affectés » (Despret, 2014). Ainsi, des éleveur.se.s qui voient des chimpanzés demeurer immobiles en silence dans un sanctuaire de réhabilitation au Cameroun (2009) en déduisent que ces derniers connaissent le deuil. Une seule interprétation est proposée et impose une similitude entre significations humaines et animales. Le comportement des chimpanzés peut néanmoins être interprété de multiples manières. Ils respectent peut-être le comportement silencieux des éleveur.se.s ou bien ne parviennent à expliquer la présence de ce corps immobile. Cette dernière version n’est pas compatible avec l’idée humaine du deuil, mais permet peut-être d’approcher des perceptions animales. Cultiver des versions crée in fine de nouvelles connexions car elles permettent de penser avec et non pour les animaux. Elles fondent en effet des relations de réciprocité qui revalorisent les versions animales et non uniquement les interprétations humaines qui en sont faites.
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Eduardo Viveiros de Castro, 2004, « "Perspectival Anthropology and the Method of Controlled Equivocation »,. Tipití: Journal of the Society for the Anthropology of Lowland South America, vol. 2. Adresse : : http://digitalcommons.trinity.edu/tipiti/vol2/iss1/1.
ii. Des mouvements expressifs qui manifestent les intentionnalités et subjectivités animales
Il existe des présentations des animaux, qui précèdent les instincts et témoignent de la subjectivité de l’animal (Portmann, 1948). Ces manifestations subjectives reflètent les intelligences animales. En effet, « plus l’animal est cérébralisé, plus il s’engage dans l'apparaître » (Morizot, 2018) car cela témoigne d’une conscience de soi et des autres.
Ces subjectivités sont révélées dans les expressions animales, formes et mouvements, dont regorge les mondes animaux. Elles s’expliqueraient, selon l’expression néo-darwinienne par leur utilité. Par exemple, les couleurs chatoyantes d’un plumage servent à la séduction et la peau fait office d' une protection imperméable. Adolf Portmann affirme que cette interprétation ne peut justifier qu’en partie la diversité des formes animales. Selon lui, la présentation de soi, un acte autonome, est une fonction organique indépendante du métabolisme et de la conservation de l’espèce qui doit être prise en compte pour expliquer les manifestations expressives des animaux. Se présenter, se donner une apparence, témoigne de l'intentionnalité et de la subjectivité des animaux.
Cette présentation réside dans des « apparences authentiques » singulières et propres à chaque espèce. Elles se manifestent seulement dans l’objectif d’apparaître et sont sans destinataire. C’est-à-dire que les mouvements expressifs sont des expressions réalisées sans la considération qu’elles peuvent être perçues par d’autres. En effet, les mouvements ou formes animales précèdent le visible et existaient même avant le premier œil sur Terre. La perception de ces apparences par d’autres êtres n’est que potentielle, donc les formes animales ne doivent pas être considérées comme un spectacle. Même si des expressions seront extrêmement visibles, l’animal se présente et ne se représente pas dans les perceptions des autres. Sinon, pourquoi les mollusques presque aveugles possèderaient des dessins sur leur coquille? Pourquoi les écailles des serpents, pourtant dichromates, seraient-elles colorées? Ou encore, pourquoi les habitants des abysses possèderaient des formes si « extravagantes » puisque dans l’obscurité l’humain.e ne voit pas? Il existe donc des choses qui existent au-delà de la perception de ces humain.e.s et soulignent la nécessité d’une attention aux autres présences afin de les rendre visibles.
Despret Vinciane, 2014, Que diraient les animaux, si... on leur posait les bonnes questions ?, Paris, La Découverte. pp.242, 240, 249
Eduardo Viveiros de Castro, 2004, « "Perspectival Anthropology and the Method of Controlled Equivocation »,. Tipití: Journal of the Society for the Anthropology of Lowland South America, vol. 2. Adresse : : http://digitalcommons.trinity.edu/tipiti/vol2/iss1/1.
ii. Des mouvements expressifs qui manifestent les intentionnalités et subjectivités animales
Il existe des présentations des animaux, qui précèdent les instincts et témoignent de la subjectivité de l’animal (Portmann, 1948). Ces manifestations subjectives reflètent les intelligences animales. En effet, « plus l’animal est cérébralisé, plus il s’engage dans l'apparaître » (Morizot, 2018) car cela témoigne d’une conscience de soi et des autres.
Ces subjectivités sont révélées dans les expressions animales, formes et mouvements, dont regorge les mondes animaux. Elles s’expliqueraient, selon l’expression néo-darwinienne par leur utilité. Par exemple, les couleurs chatoyantes d’un plumage servent à la séduction et la peau fait office d' une protection imperméable. Adolf Portmann affirme que cette interprétation ne peut justifier qu’en partie la diversité des formes animales. Selon lui, la présentation de soi, un acte autonome, est une fonction organique indépendante du métabolisme et de la conservation de l’espèce qui doit être prise en compte pour expliquer les manifestations expressives des animaux. Se présenter, se donner une apparence, témoigne de l'intentionnalité et de la subjectivité des animaux.
Cette présentation réside dans des « apparences authentiques » singulières et propres à chaque espèce. Elles se manifestent seulement dans l’objectif d’apparaître et sont sans destinataire. C’est-à-dire que les mouvements expressifs sont des expressions réalisées sans la considération qu’elles peuvent être perçues par d’autres. En effet, les mouvements ou formes animales précèdent le visible et existaient même avant le premier œil sur Terre. La perception de ces apparences par d’autres êtres n’est que potentielle, donc les formes animales ne doivent pas être considérées comme un spectacle. Même si des expressions seront extrêmement visibles, l’animal se présente et ne se représente pas dans les perceptions des autres. Sinon, pourquoi les mollusques presque aveugles possèderaient des dessins sur leur coquille? Pourquoi les écailles des serpents, pourtant dichromates, seraient-elles colorées? Ou encore, pourquoi les habitants des abysses possèderaient des formes si « extravagantes » puisque dans l’obscurité l’humain.e ne voit pas? Il existe donc des choses qui existent au-delà de la perception de ces humain.e.s et soulignent la nécessité d’une attention aux autres présences afin de les rendre visibles.
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iii. Les cultures animales, reflet des singularités et intelligences animales
Les cultures animales (Lestel, 2001) soulignent les subjectivités animales et permettent ainsi de dépasser l’opposition entre nature et culture. Les cultures animales sont des comportements nouveaux, inventés et qui « se transmettent à l’intérieur du groupe de façon sociale » (Lestel, 2001). Les cultures animales se fondent ainsi sur des médiations de l’action, c’est-à-dire des éléments de l'environnement objectif d’un être qui stimule de nouvelles pratiques. Ce sont des « aides écologiques qui permettent à l’animal de transformer ses performances et ses compétences, en changeant la nature de leur déroulement, ou en augmentant leur champ d’action » (Lestel, 2001).
Le Dévédec Nicolas, 2014, « Adolf Portmann, La forme animale »,. Lectures. Adresse : http://journals.openedition.org/lectures/14943 [Consulté le : 15 novembre 2020].
Morizot Baptiste, 2018, Sur la piste animale, Actes Sud, p.35
Portmann Adolf, Dewitte Jacques et Georges Rémy, 2013, La forme animale, Paris, La Bibliothèque.
Thinès Georges, 2010,« 4. La forme animale selon Frederik Buytendijk et adolf Portmann : une phénoménologie du comportement expressif », Penser le comportement animal, Natures sociales, Versailles, Éditions Quæ, p. 117‑126. Adresse : https://www.cairn.info/penser-le-comportement-animal--9782759204007-p-117.htm.
Morizot Baptiste, 2018, Sur la piste animale, Actes Sud, p.35
Portmann Adolf, Dewitte Jacques et Georges Rémy, 2013, La forme animale, Paris, La Bibliothèque.
Thinès Georges, 2010,« 4. La forme animale selon Frederik Buytendijk et adolf Portmann : une phénoménologie du comportement expressif », Penser le comportement animal, Natures sociales, Versailles, Éditions Quæ, p. 117‑126. Adresse : https://www.cairn.info/penser-le-comportement-animal--9782759204007-p-117.htm.
iii. Les cultures animales, reflet des singularités et intelligences animales
Les cultures animales (Lestel, 2001) soulignent les subjectivités animales et permettent ainsi de dépasser l’opposition entre nature et culture. Les cultures animales sont des comportements nouveaux, inventés et qui « se transmettent à l’intérieur du groupe de façon sociale » (Lestel, 2001). Les cultures animales se fondent ainsi sur des médiations de l’action, c’est-à-dire des éléments de l'environnement objectif d’un être qui stimule de nouvelles pratiques. Ce sont des « aides écologiques qui permettent à l’animal de transformer ses performances et ses compétences, en changeant la nature de leur déroulement, ou en augmentant leur champ d’action » (Lestel, 2001).
Les cultures animales témoignent tout d’abord de la singularité des animaux. Les cultures émergent dans des comportements singuliers d’un animal qui transmet ces pratiques inédites à des membres de son groupe. Les « animaux singuliers » sont des êtres dont les comportements ne sont pas réductibles à ceux de l’espèce. C’est le cas de Watana, femelle chimpanzé qui fait des nœuds au Jardin des Plantes de Paris (Lestel et Herzfeld, 2005). Ici, Watana adopte un comportement qui la distingue des autres chimpanzés et révèle sa subjectivité. Elle adopte des comportements qui ne sont pas déterminés biologiquement mais induits par son intelligence personnelle. Les animaux singuliers soulignent en effet que les comportements des animaux ne sont pas uniquement déterminés biologiquement et soumis à la nécessité. Au contraire, les animaux singuliers « ne se comportent pas comme ils devraient le faire », i.e. ne correspondent pas aux comportements attendus au vu de leur espèce et de leurs propriétés biologiques (Lestel, Giribone et Lambert, 2010). Les cultures animales soulignent donc la plasticité des comportements des animaux et remet en cause la thèse d’animaux dominés par leurs instincts puisque leurs comportements sont également contingents et choisis.
Les cultures animales témoignent dès lors des subjectivités et intelligences animales. « Il n’y a en effet pas de culture sans sujet [...] et il y a des espèces de sujets chez les animaux » (Lestel, 2001). Le sujet représente un « mode d'existence qui s’affirme comme le fondement d’une réceptivité aux significations intelligibles et en même temps d’une activité qui crée ces significations et y répond intelligemment. La subjectivité se perçoit donc par la singularité des animaux, par l’intentionnalité de leurs actions non déterminées biologiquement par la « performance cognitive » de leurs innovations.
Les cultures animales témoignent en outre de la pluralité des groupes animaux contre l’homogénéisation de « l’animot » (Derrida, 2006) et des espèces biologiques. Les animaux d’une même espèce n’adoptent en effet pas les mêmes comportements en fonction de leur groupe d’appartenance. Au contraire, les variabilités entre groupes témoignent des innovations sociales à l’intérieur d’un groupe. En ce sens, les cultures animales reflètent la singularité des communautés locales. C’est le cas des grands singes (Goodall, 1964) qui forgent des outils pour extraire des termites, alors même que la fabrication d’outils constituait jusqu’alors le monopole des humain.e.s. Le recours à des outils révèle les singularités des groupes, puisque les outils ne sont pas diffusés aux autres groupes, et la contingence de comportements qui résultent des intelligences animales. C’est le cas des macaques sur l’île de Koshima (Japon) qui lavent des patates douces dans l’eau d’un ruisseau (Imanishi, 1953). Ce comportement démontre des innovations sociales résultant d’intelligences animales, mais également une sociabilité des macaques puisque cette technique, d’abord observée chez Imo, est ensuite transmise à d’autres macaques avant de devenir une pratique répandue parmi les macaques de l’île. Cette sociabilité brise le dualisme nature culture. Les animaux sont ainsi des êtres sociaux parce qu’ils adoptent des comportements transmis au sein d’un groupe par un processus que l’on peut rapprocher par analogie à la socialisation. Si les cultures humaines sont certes irréductibles à celles des animaux, « il ne faut pas chercher à dégager "le propre de l'homme" une fois pour toutes. Il ne faut plus penser la culture en opposition à la nature mais prendre conscience de la pluralité des cultures chez des créatures d'espèces très différentes » (Lestel, 2001). En ce sens, les cultures animales rejoignent le trope natureculture (Haraway, 2003) qui efface le dualisme ontologique entre nature et culture et quitte l’anthropocentrisme. Le terme de natureculture fonde des histoires enchevêtrées, interspécifiques et souligne l’interdépendance entre les êtres. On peut donner l’exemple des populations macaques crabiers et humaines sur l’île de Bali en Indonésie (Malone et Ovenden, 2016). Le vivre ensemble, vieux de plus d’un siècle, de ces deux groupes fonde des interactions et une interface entre primates non-humains et humains. Par exemple, les populations macaques résidant près des temples hindus sont protégées, de même que l’industrie touristique vise à favoriser de nouvelles interfaces entre humains touristes et macaques.
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C. Une individualité des humain.e.s et animaux néanmoinsremise en cause par les enchevêtrements, témoins des devenirs communs ?
i. Fonder des récits interrelationnels par les narrativités
Les subjectivités peuvent néanmoins être dépassées par des histoires enchevêtrées, des agencements (Deleuze et Guattari, 1980) où les êtres ne sont pas étudiés dans leurs singularités mais dans leurs interrelations. La notion d’agencement implique en effet des connexions inédites entre des éléments hétérogènes. Ces intersubjectivités sont analysées par le concept de narrativité (Tsing, 2019). La méthode de la narration consiste à créer de nouveaux récits pour dépasser les individualités. Cette idée d’intersubjectivité remet en cause la pertinence d’étudier l’individualité des animaux puisque la relation prime sur toute identité Les narrativités ne pensent pas les ontologies de manière fixiste, ce que les animaux sont, mais des agencements fluctuants où les êtres sont imbriqués dans des relations sans cesse reconfigurées par des interactions nouvelles. Nous sommes projetés dans des agencements fluctuants qui nous refabriquent en même temps que les autres.
Les narrativités dépassent le dualisme entre humain.e.s et animaux puisqu’elles affirment des relations d’interdépendance et de causalité où les humain.e.s ne peuvent vivre sans les animaux : chacun.e rend l’existence de l’autre possible. Les narrativités remettent ainsi en question l’autonomie des humain.e.s et la vision biologique d’une évolution isolée de chaque espèce. Elles requièrent en effet des « communs latents » c’est-à-dire « des alliances [locales et uniques] temporaires mobilisées dans une cause commune » (Tsing, 2019). Pour survivre, les humain.e.s nécessitent ainsi des alliances et interactions avec les animaux. Les narrativités constituent en ceci une « théorie de la connaissance locale où se dévoile une conscience radicale de la singularité et de la "précarité" de notre expérience ».
C’est le cas des matsutakes (Tsing, 2017), champignons très chers au Japon qui ne se développent que sur des ruines, espaces qui ont été dégradés par les activités humaines. Les matsutakes sont en effet certainement les premiers êtres vivants à avoir émergé des ruines d’Hiroshima. Ils poussent également dans les forêts dévastées de l’Oregon, aux Etats-Unis. Les champignons matsutakes ne peuvent donc exister sans les humain.e.s et forment avec elles.eux des agencements nouveaux, lorsqu’émergent des espaces détruits par les conflits.
Les narrativités soulignent l’importance de l’écoute. « L’anthropologie est l’art d’observer, l’art de l’attention » (Tsing, 2017). Il s’agit à la fois de faire attention aux agencements en perpétuel mouvement et de faire attention aux autres intégrés dans une configuration (Despret, 2014, Haraway, 2019). Fonder une « politique de l’écoute » (Morizot, 2018) vise à inventer d’autres façons de raconter des histoires en quittant le regard scientifique, comme en témoignent les narrativités.
Canteloup Charlotte, 2019, « Qui copier ? Les stratégies d’apprentissage social chez les animaux »,. Revue de primatologie, n° 10. Adresse : http://journals.openedition.org/primatologie/4326 [Consulté le : 17 février 2021].
Herzfeld Chris et Lestel Dominique, 2005, « Knot tying in great apes: etho-ethnology of an unusual tool behavior »,. Social Science Information, vol. 44, n° 4, p. 621‑653.
Jane Goodall, 1964, « Tool-using and Aimed Throwing in a Community of Free Living Chimpanzees »,. Nature, vol. , n° 201, p. 1264‑1266.
Lestel Dominique, 2004, L’animal singulier, Paris, Editions du Seuil.
Lestel Dominique et Flammarion, 2001, Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion. pp.67, 330
Lestel Dominique, Giribone Jean-Luc et Lambert Julie, 2010, « L’homme devant l’animal : observer une autre intelligence »,. Esprit, vol. Juin, n° 6, p. 116.
Malone Nicholas et Ovenden Kathryn, 2016,« Natureculture », The International Encyclopedia of Primatology, Hoboken, NJ, USA, John Wiley & Sons, Inc., p. 1‑2. Adresse : http://doi.wiley.com/10.1002/9781119179313.wbprim0135 [Consulté le : 18 février 2021]
Herzfeld Chris et Lestel Dominique, 2005, « Knot tying in great apes: etho-ethnology of an unusual tool behavior »,. Social Science Information, vol. 44, n° 4, p. 621‑653.
Jane Goodall, 1964, « Tool-using and Aimed Throwing in a Community of Free Living Chimpanzees »,. Nature, vol. , n° 201, p. 1264‑1266.
Lestel Dominique, 2004, L’animal singulier, Paris, Editions du Seuil.
Lestel Dominique et Flammarion, 2001, Les origines animales de la culture, Paris, Flammarion. pp.67, 330
Lestel Dominique, Giribone Jean-Luc et Lambert Julie, 2010, « L’homme devant l’animal : observer une autre intelligence »,. Esprit, vol. Juin, n° 6, p. 116.
Malone Nicholas et Ovenden Kathryn, 2016,« Natureculture », The International Encyclopedia of Primatology, Hoboken, NJ, USA, John Wiley & Sons, Inc., p. 1‑2. Adresse : http://doi.wiley.com/10.1002/9781119179313.wbprim0135 [Consulté le : 18 février 2021]
C. Une individualité des humain.e.s et animaux néanmoinsremise en cause par les enchevêtrements, témoins des devenirs communs ?
i. Fonder des récits interrelationnels par les narrativitésLes subjectivités peuvent néanmoins être dépassées par des histoires enchevêtrées, des agencements (Deleuze et Guattari, 1980) où les êtres ne sont pas étudiés dans leurs singularités mais dans leurs interrelations. La notion d’agencement implique en effet des connexions inédites entre des éléments hétérogènes. Ces intersubjectivités sont analysées par le concept de narrativité (Tsing, 2019). La méthode de la narration consiste à créer de nouveaux récits pour dépasser les individualités. Cette idée d’intersubjectivité remet en cause la pertinence d’étudier l’individualité des animaux puisque la relation prime sur toute identité Les narrativités ne pensent pas les ontologies de manière fixiste, ce que les animaux sont, mais des agencements fluctuants où les êtres sont imbriqués dans des relations sans cesse reconfigurées par des interactions nouvelles. Nous sommes projetés dans des agencements fluctuants qui nous refabriquent en même temps que les autres.
Les narrativités dépassent le dualisme entre humain.e.s et animaux puisqu’elles affirment des relations d’interdépendance et de causalité où les humain.e.s ne peuvent vivre sans les animaux : chacun.e rend l’existence de l’autre possible. Les narrativités remettent ainsi en question l’autonomie des humain.e.s et la vision biologique d’une évolution isolée de chaque espèce. Elles requièrent en effet des « communs latents » c’est-à-dire « des alliances [locales et uniques] temporaires mobilisées dans une cause commune » (Tsing, 2019). Pour survivre, les humain.e.s nécessitent ainsi des alliances et interactions avec les animaux. Les narrativités constituent en ceci une « théorie de la connaissance locale où se dévoile une conscience radicale de la singularité et de la "précarité" de notre expérience ».
C’est le cas des matsutakes (Tsing, 2017), champignons très chers au Japon qui ne se développent que sur des ruines, espaces qui ont été dégradés par les activités humaines. Les matsutakes sont en effet certainement les premiers êtres vivants à avoir émergé des ruines d’Hiroshima. Ils poussent également dans les forêts dévastées de l’Oregon, aux Etats-Unis. Les champignons matsutakes ne peuvent donc exister sans les humain.e.s et forment avec elles.eux des agencements nouveaux, lorsqu’émergent des espaces détruits par les conflits.
Les narrativités soulignent l’importance de l’écoute. « L’anthropologie est l’art d’observer, l’art de l’attention » (Tsing, 2017). Il s’agit à la fois de faire attention aux agencements en perpétuel mouvement et de faire attention aux autres intégrés dans une configuration (Despret, 2014, Haraway, 2019). Fonder une « politique de l’écoute » (Morizot, 2018) vise à inventer d’autres façons de raconter des histoires en quittant le regard scientifique, comme en témoignent les narrativités.
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ii. Harmoniser les milieux humains et animaux par la transindividualité
Se détacher individualités subjectives fait appel à la transindividualité (Simondon). Ce type de relation implique que « les vivants déplacent mutuellement leurs limites individuées (de perception, d’action et d’affectivité), et qu’ils [sont] transformés de manière réciproque par les événements qui leur arrivent » (Chopot, 2015). La transindividualité met donc de côté le dualisme performatif des êtres non-humains et humains en se plaçant, comme les narrativités, dans un espace préindividuel. Plutôt qu’interroger l’ontologie des entités, elle questionne donc leurs relations et potentialités de rencontres. Interroger la visibilité des animaux ne consiste pas uniquement à se demander s’ils sont perçus en tant qu'êtres subjectifs, mais également comment leurs rapports avec les humain.e.s se construisent et se manifestent.
En interrogeant le devenir commun des humain.e.s et animaux, la transindividualité se rapproche des communautés hybrides (Lestel, 2010), agencements particuliers « d’hommes et d’animaux, dans une culture donnée, qui constituent un espace de vie pour les uns et pour les autres, dans lequel sont partagés des intérêts, des affects et du sens » (Lestel, 2004). Les communautés hybrides mettent en valeur les relations intenses et interdépendantes entre humain.e.s et animaux dont les corps débordent les uns sur les autres dans une « co-extension » (Lestel, 2010). « Les entités sont définies à partir de leurs relations et non l’inverse » (Lestel in Estebanez, 2013). Elles soulignent l’agentivité des entités en interrogeant la façon dont chacune produit des effets sur les autres. C’est le cas des relations entre la chimpanzé Washoe et les chercheur.se.s Gardner qui communiquent par une langue des signes. Washoe maîtrise ainsi plus de cent quarante signes et parvient à les combiner. Cette expérience fonctionne, contrairement à de nombreuses tentatives d’apprentissage d’un langage aux animaux, parce qu’elle se fonde sur une relation forte et symétrique. Chacun se transforme au contact de l’autre, les humain.e.s apprennent en effet à comprendre les façons de s'exprimer de Washoe et à communiquer avec elle. Les enchevêtrements bouleversent donc les perspectives anthropocentriques en soulignant comment les humain.e.s se construisent non pas en opposition mais avec les animaux.
Deleuze, G. et F. Guattari (1980), Mille Plateaux - Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Éditions de Minuit.
Tsing Anna Lowenhaupt, 2017, Le champignon de la fin du monde: sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Paris, La Découverte. p.240
Concevoir les existants·es. Les subjectivités autres qu’humaines en sciences sociales - THALIM UMR CNRS, Adresse : https://www.arias.cnrs.fr/appels-a-contribution/article/concevoir-les-existants-es-les-subjectivites-autres-qu-humaines-en-sciences [Consulté le : 10 février 2021].
Faure Sonya, 2019, « Anna Tsing : «Fabriquer des mondes n’est pas réservé aux humains, les histoires entre espèces sont entremêlées» – Libération »,. Adresse : https://www.liberation.fr/debats/2019/06/14/anna-tsing-fabriquer-des-mondes-n-est-pas-reserve-aux-humains-les-histoires-entre-especes-sont-entre_1733833/?fbclid=IwAR0yJx8bWInivM6Q4MeQcwf8lAKDE-I94aboyD82xKPi0dRklaOrOGet4ws [Consulté le : 17 février 2021].
Despret Vinciane, 2019, Habiter en oiseau, Arles, Actes sud.
Haraway Donna Jeanne, 2003, Manifeste des espèces compagnes: chiens, humains et autres partenaires, Climats, Paris.
Morizot Baptiste, 2018, Sur la piste animale, Arles, Actes sud.
Tsing Anna Lowenhaupt, 2017, Le champignon de la fin du monde: sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Paris, La Découverte. p.240
Concevoir les existants·es. Les subjectivités autres qu’humaines en sciences sociales - THALIM UMR CNRS, Adresse : https://www.arias.cnrs.fr/appels-a-contribution/article/concevoir-les-existants-es-les-subjectivites-autres-qu-humaines-en-sciences [Consulté le : 10 février 2021].
Faure Sonya, 2019, « Anna Tsing : «Fabriquer des mondes n’est pas réservé aux humains, les histoires entre espèces sont entremêlées» – Libération »,. Adresse : https://www.liberation.fr/debats/2019/06/14/anna-tsing-fabriquer-des-mondes-n-est-pas-reserve-aux-humains-les-histoires-entre-especes-sont-entre_1733833/?fbclid=IwAR0yJx8bWInivM6Q4MeQcwf8lAKDE-I94aboyD82xKPi0dRklaOrOGet4ws [Consulté le : 17 février 2021].
Despret Vinciane, 2019, Habiter en oiseau, Arles, Actes sud.
Haraway Donna Jeanne, 2003, Manifeste des espèces compagnes: chiens, humains et autres partenaires, Climats, Paris.
Morizot Baptiste, 2018, Sur la piste animale, Arles, Actes sud.
ii. Harmoniser les milieux humains et animaux par la transindividualité
Se détacher individualités subjectives fait appel à la transindividualité (Simondon). Ce type de relation implique que « les vivants déplacent mutuellement leurs limites individuées (de perception, d’action et d’affectivité), et qu’ils [sont] transformés de manière réciproque par les événements qui leur arrivent » (Chopot, 2015). La transindividualité met donc de côté le dualisme performatif des êtres non-humains et humains en se plaçant, comme les narrativités, dans un espace préindividuel. Plutôt qu’interroger l’ontologie des entités, elle questionne donc leurs relations et potentialités de rencontres. Interroger la visibilité des animaux ne consiste pas uniquement à se demander s’ils sont perçus en tant qu'êtres subjectifs, mais également comment leurs rapports avec les humain.e.s se construisent et se manifestent.
En interrogeant le devenir commun des humain.e.s et animaux, la transindividualité se rapproche des communautés hybrides (Lestel, 2010), agencements particuliers « d’hommes et d’animaux, dans une culture donnée, qui constituent un espace de vie pour les uns et pour les autres, dans lequel sont partagés des intérêts, des affects et du sens » (Lestel, 2004). Les communautés hybrides mettent en valeur les relations intenses et interdépendantes entre humain.e.s et animaux dont les corps débordent les uns sur les autres dans une « co-extension » (Lestel, 2010). « Les entités sont définies à partir de leurs relations et non l’inverse » (Lestel in Estebanez, 2013). Elles soulignent l’agentivité des entités en interrogeant la façon dont chacune produit des effets sur les autres. C’est le cas des relations entre la chimpanzé Washoe et les chercheur.se.s Gardner qui communiquent par une langue des signes. Washoe maîtrise ainsi plus de cent quarante signes et parvient à les combiner. Cette expérience fonctionne, contrairement à de nombreuses tentatives d’apprentissage d’un langage aux animaux, parce qu’elle se fonde sur une relation forte et symétrique. Chacun se transforme au contact de l’autre, les humain.e.s apprennent en effet à comprendre les façons de s'exprimer de Washoe et à communiquer avec elle. Les enchevêtrements bouleversent donc les perspectives anthropocentriques en soulignant comment les humain.e.s se construisent non pas en opposition mais avec les animaux.
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iii. Des agencements qui fondent un côtoiement des mondes, dépassement de l’anthropocentrisme
Les agencements interspécifiques permettent de dépasser le cloisonnement et la subjectivité des mondes vécus. La séparation de ces mondes explique que nier tout anthropocentrisme n’est pas réalisable car les humain.e.s parlent toujours, et forcément de leurs points de vue et avec leurs mots. Ainsi, « le désir de croiser les mondes n’est pas réalisable, qu’on peut au mieux les rapprocher voire les recouvrer en partie et que ces reconstitutions gardent une bonne part humaine » (Baratay, 2012). Ces mondes vécus séparés sont néanmoins modifiés par le côtoiement des autres mondes grâce aux interrelations et en particulier l’harmonisation des corps. Les mondes constituent en effet des « structures métastables » (Morizot, 2012) dotées d’une plasticité oubliée par Uexküll. Accepter de voir son milieu reconfiguré par les relations avec les animaux constitue donc un facteur essentiel de dépassement de l’anthropocentrisme.
Les agencements hybrides induisent dès lors des devenir-avec (Haraway, 2003). Il s’agit de fonder une éthique de la responsabilité où les humain.e.s prennent conscience qu'iels ne peuvent exister sans les animaux avec lesquels iels entretiennent des relations indépassables. « Notre existence dépend de notre capacité à vivre ensemble » (2081451484) car « il n’existe pas de sujet ni d’objet déjà formé, ni aucune source unique, aucun acteur unifié ou visée ultime » (Haraway, 2003). Rendre les animaux visibles consiste donc à entretenir de nouvelles « relations de partenaire » fondées sur la responsabilité, le care et la redevabilité (accountability). Est ici prônée une « vigilance constante à l’égard de l’altérité-en-relation » (Haraway, 2003). Cette éthique permet de dépasser l’anthropocentrisme et les rapports de domination. L’enjeu est de prendre au sérieux le rôle des animaux dans ces interrelations, de percevoir et d’interroger les présences animales par la construction de nouveaux récits. Cette « co-constitution et coévolution » (Haraway, 2003) se perçoit notamment à travers les espèces compagnes. Ces dernières représentent « tout autre être organique auquel l’existence humaine doit d’être ce qu’elle est, et réciproquement » (Haraway, 2003) comme les chiens, le riz, la flore intestinale, les tipules. Percevoir l’interdépendance de ces espèces compagnes permet de fonder de nouvelles connexions entre ces êtres multiples mais souvent invisibles.
Chopot Antoine, 2015, « Les communautés plus qu’humaines »,. Appareil, n° 16. Adresse : http://journals.openedition.org/appareil/2228 [Consulté le : 5 février 2021]. p.4
Combes Muriel, 1999, Simondon, individu et collectivité: pour une philosophie du transindividuel, 1. éd. Paris, Presses Univ. de France.
Estebanez Jean, 2013, « Penser les communautés hybrides: Entretien avec Dominique Lestel, Maître de Conférences à l’ENS-Ulm »,. Carnets de géographes, n° 5. Adresse : http://journals.openedition.org/cdg/1052 [Consulté le : 12 février 2021].
Lestel Dominique, 2010, L’animal est l’avenir de l’homme: munitions pour ceux qui veulent (toujours) défendre les animaux, Paris, Fayard.
Lestel Dominique, 2004, L’animal singulier, Paris, Editions du Seuil. p.19
Lestel Dominique, 1998, « L’innovation cognitive dans des communautés hybrides homme/animal de partage de sens, d’intérêts et d’affects »,. Intellectica. Revue de l’Association pour la Recherche Cognitive, vol. 26, n° 1, p. 203‑226.
Morizot Baptiste, 2012, « Le hasard contraint comme modalité d’individuation »,. Cahiers Simondon.
Combes Muriel, 1999, Simondon, individu et collectivité: pour une philosophie du transindividuel, 1. éd. Paris, Presses Univ. de France.
Estebanez Jean, 2013, « Penser les communautés hybrides: Entretien avec Dominique Lestel, Maître de Conférences à l’ENS-Ulm »,. Carnets de géographes, n° 5. Adresse : http://journals.openedition.org/cdg/1052 [Consulté le : 12 février 2021].
Lestel Dominique, 2010, L’animal est l’avenir de l’homme: munitions pour ceux qui veulent (toujours) défendre les animaux, Paris, Fayard.
Lestel Dominique, 2004, L’animal singulier, Paris, Editions du Seuil. p.19
Lestel Dominique, 1998, « L’innovation cognitive dans des communautés hybrides homme/animal de partage de sens, d’intérêts et d’affects »,. Intellectica. Revue de l’Association pour la Recherche Cognitive, vol. 26, n° 1, p. 203‑226.
Morizot Baptiste, 2012, « Le hasard contraint comme modalité d’individuation »,. Cahiers Simondon.
iii. Des agencements qui fondent un côtoiement des mondes, dépassement de l’anthropocentrisme
Les agencements interspécifiques permettent de dépasser le cloisonnement et la subjectivité des mondes vécus. La séparation de ces mondes explique que nier tout anthropocentrisme n’est pas réalisable car les humain.e.s parlent toujours, et forcément de leurs points de vue et avec leurs mots. Ainsi, « le désir de croiser les mondes n’est pas réalisable, qu’on peut au mieux les rapprocher voire les recouvrer en partie et que ces reconstitutions gardent une bonne part humaine » (Baratay, 2012). Ces mondes vécus séparés sont néanmoins modifiés par le côtoiement des autres mondes grâce aux interrelations et en particulier l’harmonisation des corps. Les mondes constituent en effet des « structures métastables » (Morizot, 2012) dotées d’une plasticité oubliée par Uexküll. Accepter de voir son milieu reconfiguré par les relations avec les animaux constitue donc un facteur essentiel de dépassement de l’anthropocentrisme.
Les agencements hybrides induisent dès lors des devenir-avec (Haraway, 2003). Il s’agit de fonder une éthique de la responsabilité où les humain.e.s prennent conscience qu'iels ne peuvent exister sans les animaux avec lesquels iels entretiennent des relations indépassables. « Notre existence dépend de notre capacité à vivre ensemble » (2081451484) car « il n’existe pas de sujet ni d’objet déjà formé, ni aucune source unique, aucun acteur unifié ou visée ultime » (Haraway, 2003). Rendre les animaux visibles consiste donc à entretenir de nouvelles « relations de partenaire » fondées sur la responsabilité, le care et la redevabilité (accountability). Est ici prônée une « vigilance constante à l’égard de l’altérité-en-relation » (Haraway, 2003). Cette éthique permet de dépasser l’anthropocentrisme et les rapports de domination. L’enjeu est de prendre au sérieux le rôle des animaux dans ces interrelations, de percevoir et d’interroger les présences animales par la construction de nouveaux récits. Cette « co-constitution et coévolution » (Haraway, 2003) se perçoit notamment à travers les espèces compagnes. Ces dernières représentent « tout autre être organique auquel l’existence humaine doit d’être ce qu’elle est, et réciproquement » (Haraway, 2003) comme les chiens, le riz, la flore intestinale, les tipules. Percevoir l’interdépendance de ces espèces compagnes permet de fonder de nouvelles connexions entre ces êtres multiples mais souvent invisibles.
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Carman Jane L., 2010, « Review 857 », D.J. Haraway éd. JAC, vol. 30, n° 3/4, p. 857‑862.
Chopot Antoine, 2015, « Les communautés plus qu’humaines »,. Appareil, n° 16. Adresse : http://journals.openedition.org/appareil/2228 [Consulté le : 18 janvier 2021].
Baratay Eric, 2017, Biographies animales. Des vies retrouvées, Seuil. Paris.
Baratay Eric, 2012, Le Point de vue animal: Une autre version de l’histoire, Paris, Éditions du Seuil. p.24
Haraway Donna Jeanne, 2003, Manifeste des espèces compagnes: chiens, humains et autres partenaires, Climats, Paris. pp. 67, 64, 69
Morizot Baptiste, 2012, « Le hasard contraint comme modalité d’individuation »,. Cahiers Simondon.
Paradis Bruno, « DELEUZE GILLES - (1925-1995) »,. Encyclopædia Universalis [en ligne]. Adresse : https://www.universalis.fr/encyclopedie/gilles-deleuze/2-les-devenirs/#:~:text=%C2%AB%20Le%20devenir%20est%20le%20processus,duquel%20elle%20reprend%20son%20mouvement [Consulté le : 12 février 2021].
Chopot Antoine, 2015, « Les communautés plus qu’humaines »,. Appareil, n° 16. Adresse : http://journals.openedition.org/appareil/2228 [Consulté le : 18 janvier 2021].
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CREDITS PHOTOS : Pixabay
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