A) Les commencements de l’astrologie en Occident et la volonté contemporaine de se réapproprier ces pratiques fondamentales
Quand situer le début de l’astrologie ? Celle-ci naît aux alentours du IXème siècle avant notre ère, dans la civilisation babylonienne en Mésopotamie. Lorsque l’Etat Babylonien passe sous la coupe des Assyriens après la défaite de 728 avant JC, celui-ci doit livrer les érudits qu’on appelle les « Chaldéens », des prêtres spécialisés dans l’astronomie et l’astrologie, célèbres pour les oracles qu’ils rendent. Quand Babylone retrouve sa suprématie en 612 avant JC, les Chaldéens ont une influence forte sur la société, étant au service des puissants, qui prennent très au sérieux les oracles rendus par les Chaldéens, vus comme des lectures de messages que les Dieux envoient à travers les astres. La discipline créée par ces prêtres Chaldéens nait de la volonté de créer un calendrier d’une part, et d’autre part d’établir des connexions entre les destins humains et astrales. L’observation du ciel leur permet d’identifier les éléments clé de ce qui correspond à l’astrologie occidentale encore aujourd’hui. En effet, l’observation des étoiles leur permet de les classer en des groupes caractéristiques, mettant au jour trente-six constellations différentes. D’autres éléments astraux rentrent dans les observations : le Soleil et la Lune, dont on observe la trajectoire dans ciel. Enfin, les cinq planètes connues à l’époque (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne) apparaissent comme ayant une influence renforcée ou amoindrie selon les constellations dans lesquelles elles « séjournent ». L’ébauche du zodiaque est née. Précisons qu’astronomie et astrologie sont indissociables à l’époque, et ainsi que la deuxième est loin d’avoir la connotation péjorative que nous lui connaissons aujourd’hui.
La conquête d’Alexandre le Grand entraîne des points de rencontre entre le monde grec et cette astrologie chaldéenne. Une figure incontournable à cette époque-là, et caractéristique de cette émulation scientifique et culturelle au IVème siècle avant JC, est Bérose, dit Bérose le Chaldéen, le prêtre de Bêl à Babylone, qui crée l’école d’astrologie sur l’île de Cros (Kunth et Zarka, 2005). Il fait avancer la discipline astrologique en théorisant l’Eternel Retour et en inventant un nouveau type de cadran solaire. Plus tard, dans la Rome impériale, l’astrologie continue à avoir une place importance notamment sous le rôle de l’empereur Auguste. En effet, Octave Auguste est pressenti par les astrologues comme le nouveau maître, successeur de César, qui guidera l’Empire et rétablira l’« Âge d’Or ». Une fois empereur, Auguste prend cette discipline très au sérieux, s’entourant de Théogène qui réalise les horoscopes impériaux. L’empereur fait même frapper une médaille portant sur elle un Capricorne, son signe astrologique, qui devient l’emblème des légions (Soprani, 1987).
En se replongeant dans les archives antiques, certains chercheurs font aujourd’hui la démarche de revenir aux fondements de la discipline astrologique, pour mieux la comprendre et redonner une légitimité à une discipline qui a été tournée en ridicule face à sa sœur l’astronomie, considérée, elle, comme une vraie science. Le cas de Denis Labouré est particulièrement édifiant : chercheur étant passé par l’Ecole Normale Supérieure mais tenant un cabinet d’astrologue dans le même temps, il veut réaffirmer la légitimité de l’astrologie en se basant sur des réelles pratiques antiques. Il refuse catégoriquement l’astrologie commerciale qui s’incarne dans des horoscopes souvent écrits par des journalistes qui n’ont aucune connaissance astrologique, et considèrent seulement le signe de la naissance au lieu de prendre en compte toutes les trajectoires des planètes. Aux côtés de Denis Labouré, il y a donc d’autres astrologues qui souhaitent rester dans la lignée de cette astrologie savante qui était reconnue et adulée dans le monde gréco-romain. Cependant, le monde universitaire n’est pas prêt d’accepter le grand retour de l’astrologie, notamment après l’épisode célèbre de la thèse d’Elizabeth Tessier.
Nous pouvons entrer plus en détail dans cette opposition affirmée entre astrologie et astronomie au cours du temps, en s’intéressant aux critères normatifs de la science et en se centrant sur l’émergence d’une astrologie commerciale dans les médias.
B) Une rupture progressive avec l’astronomie : une décrédibilisation totale de la scientificité de l’astrologie
D’où vient la rupture entre astronomie et astrologie ? La rupture entre la « fille très folle » et la « mère très sage » (Voltaire, 1763) part d’un objet commun, le ciel, qui n’est pas exploité de la même façon. D’un côté, on tire des conclusions de nature scientifique tandis que de l’autre, on cherche à décrypter sa destinée dans les mouvements des astres. Cependant, peut-on même parler d’un même objet ? Le ciel de l’astrologue reste limité aux constellations du zodiaque et aux quelques planètes du système solaire. En astronomie, ce ciel observable s’agrandit au fur et à mesure des découvertes de nouveaux éléments (en 2015, une exoplanète a été découverte) et se comprend dans toutes sa complexité (l’univers est en expansion, il a un âge !). On pourrait même dire qu’en astronomie, on s’intéresse plus à ce qui n’est pas visible à l’œil nu que l’inverse.
L’astrologie savante ne rentre pas dans les critères de scientificité. Intéressons-nous de plus près à la ligne de démarcation entre science et pseudo science, pour comprendre pourquoi l’astrologie ne remplit pas les critères normatifs de la science. Habituellement, on retient les normes de Merton, la notion de paradigme chère à Kuhn ainsi que le critère de réfutabilité de Popper. Commençons par nous pencher sur les quatre normes proposées par Merton : l’universalité, le partage de l’information, le scepticisme organisé et le désintéressement. Le paradigme de Kuhn renvoie à l’idée d’un accès à la connaissance cyclique : le paradigme, système de pensée, est mis en crise en son sein même pour engendrer un nouveau paradigme radicalement différent. Si en astronomie, il parait évident que le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme constitue un changement de paradigme radical, il semble plus compliqué d’observer des mutations aussi brutales en astrologie. Les astrologues « savants » n’ont pas changé leurs pratiques de façon significatives dans le sens où ceux-ci gardent la même grille de lecture que depuis des millénaires. Popper, quant à lui, mobilise directement l’astrologie sur le même plan que la psychanalyse comme exemple type de la pseudo science. Pour qu’une théorie soit scientifique à proprement parlé selon ce philosophe des sciences, il faut que l’énoncé scientifique avancé soit réfutable par expérience. Tant que l’expérience ne réfute pas la théorie, on la tient pour non fausse. En astrologie, on en reste à des représentations symboliques qui sont affirmées et ne peuvent pas être testées empiriquement (Larivée, 2014). Prenons l’exemple de la couleur rouge de la planète Mars qui peut être expliquée causalement par l’oxydation du métal, elle-même expliquée par la présence d’oxygène, notamment de l’eau. L’eau étant nécessaire à la vie des êtres humains, la question de la vie sur Mars s’est donc posée. Dans une approche astrologique, la couleur rouge renvoie au sang, voir à l’affrontement ou à la mort. Il s’agit d’une simple projection de symboles mais pas d’une relation causale qui peut être vérifiée par le moyen d’une expérience (Kunth, 2018). Cependant, on pourrait tester la validité des hypothèses faites en astrologie grâce aux statistiques, qui permettraient de voir dans quelles mesures les prédictions se réalisent. Or, les quelques études qui ont été réalisées sur le sujet ne sont pas ressorties avec des résultats concluants. Dans les années cinquante, Michel Gauquelin, dans l’Effet Mars, entendait prouver par des outils statistiques la corrélation entre la prédominance de Mars dans le ciel lors de la naissance et la carrière de sportif.
Nous venons donc de voir que l’astrologie, même savante, ne rentre pas dans les différents critères de scientificité qui ont pu être élaborés en philosophie des sciences. Mais alors, quelle est la situation de l’astrologie dite commerciale ? Il va sans dire que cette dernière est encore moins qualifiable de scientifique et tend à s’imposer depuis quelques années dans l’espace publique, éclipsant l’astrologie savante. Les médias ont rapidement compris qu’en se saisissant de l’astrologie, ils touchaient à la poule aux œufs d’or. La rubrique de Madame Soleil sur Europe 1 dans les années 70 marque peut être le début de ce passage de l’astrologie dans la sphère publique. En effet, les auditeurs se pressaient pour connaître leur horoscope si bien que le standard était saturé ! Depuis, surfant sur la tendance et profitant bien souvent de la crédulité des lecteurs, les magazines qui proposent des horoscopes se multiplient et ceux qui les rédigent sont souvent de simples journalistes bien loin d’avoir la moindre connaissance astrologique (Kunth, 2018).
Un schisme s’est ainsi créé entre l’astrologie et l’astronomie - qui sont devenues deux sciences distinctes. Pourtant, l’astrologie a aussi eu tendance à s’associer à d’autre formes scientifiques, comme cela a été le cas avec la médecine, alors dite « astrologie médicale ».
C) L'astrologie et les pratiques médicales : quelle légitimité scientifique ?
Aux origines de la « médico-astrologie », Hippocrate, « père de la médecine », définit au Ve siècle avant JC la théorie des 4 Éléments (Eau, Feu, Terre et Air), sur laquelle les astrologues médecins vont se baser. Il écrit, dans De l'Ancienne médedine : « Nul ne peut se prétendre médecin s'il ne connaît les bases de l'astrologie » (Hippocrate, 1990) : une devise qui sera reprise des siècles durant par les médecins astrologues. L’astrologie médicale se développe en divisant le zodiaque arbitrairement en signes de Feu, de Terre, d'Air et d'Eau - tout comme les planètes qui, elles aussi sont classées selon les éléments. Signes et planètes héritent ainsi des « terrains » pathologiques - des maladies potentielles - attribués aux tempéraments hippocratiques (en fonction de son élément, l’individu peut souffrir de certains mots particuliers). Les médecins astrologues divisent le corps en 12 parties, pour correspondre aux signes du Zodiaque : arbitrairement, le degré 0 du Bélier est attribué à la tête, au commencement - et de là découlent le reste des signes (la gorge est attribuée au Taureau, les poumons aux Gémeaux). Cette théorie s’est profondément imposée dans la médecine astrologique : les astrologues du XXe siècle, malgré la révolution thérapeutique des cinquante dernières années qui avait démontré son inefficacité, continuent de se référer à cette théorie. Il faut notamment rappeler qu’en 1751, dans son article « Astrologie », L’Encyclopédie distingue, comme cela se fait traditionnellement, l’astrologie naturelle (l’art d’observer et de prédire les phénomènes naturels) de l’astrologie judiciaire (l’art de prédire le destin des hommes). La première est considérée toujours comme licite et scientifique, tandis que la seconde est condamnée comme un préjugé. Ainsi, on a longtemps gardé cet art d’une médecine naturelle entre le XVIIIe et le XXe, jusqu'à ce que l’astrologie redevienne, avec l’avancée des technologies et des médias, une astrologie judiciaire. Face à l’épidémie de peste noire au XIVe siècle, on observe une mise à l'épreuve de la médecine : face à l'impuissance totale des médecins et une crise qui n’en finit plus, une piste astrologique tente de trouver les origines de cette crise sanitaire sans précédent. Médecins, savants et astrologues en concluent que c’est la « conjonction des trois planètes Saturne, Jupiter et Mars, dans le signe du Verseau en 1345 qui est responsable de la corruption de l’air, cause de la Peste Noire » (Weill-Parot, 2004). Parmi ces médecins, on trouve le Docteur régent de la faculté, médecin de Louis XIII. Ces considérations astrologiques traduisent-elles cependant un bouleversement des règles scientifiques de la médecine savante ? La réponse s’oriente vers la négation : c’est surtout une puissante volonté d’expliquer qui animait les médecins de l’époque, face à une impuissance totale devant la mort de leur patrie. Considérée comme une science véritable à l’époque, l’astrologie ou astrologie médicale permettait - et permet toujours - de rationaliser même les idées les plus folles. Lorsque le réel nous échappe ou nous effraie, nous nous avons tendance à nous tourner vers le divin. Toutes les pistes sont exploitables – et on en vient jusqu’à accuser les juifs d’être à l’origine de la peste, sous prétexte qu’ils semblent moins en mourir. Néanmoins, cette théorie est réfutée par la thèse astrologique du Médecin Primus de Corpusllirio qui explique qu’« on peut dire que les juifs sont saturniens et que la complexion de leur planète et froide et sèche, c’est-à-dire, opposé à la maladie pestilentielle [...] c’est ainsi que les juifs meurent moins » (Weill-Parot, 2004). Ainsi, face à l'inexplicable, l’être humain se tourne vers toutes les ressources possibles. Les médecins n'ont pas quitté leur propre grille d'explication rationnelle ; à un fléau énorme ils ont donné une cause énorme : la conjonction des planètes supérieures.
Quel avenir pour la médecine astrologique ? Quelles sont ses pratiques contemporaines ? Au début du XXe siècle, le médecin Théophile Perrier dans sa thèse sur l’Astrologie médicale, écrit : « Le médecin ne doit pas se confiner exclusivement dans son rôle un peu terre à terre du soin physique des malades, mais encore être un homme de science, un érudit, [et c’est pour cela] que nous abordons cette étude succincte de la médecine astrologique » (L’Astrologie médicale, s. d.). Perrier s'appuie sur la question de l’universel mouvement, cherchant une explication qui se veut plus rationnelle en décrédibilisant la théorie des humeurs d'Hippocrate. Celle-ci établissait des correspondances entre les membres du corps et les signes astrologiques. Perrier parle d’une influence supraterrestre indéniable (en prenant l’exemple des marées) sur la nature. Ainsi, l’influence des astres sur la nature étant étudiée, cela justifierait une étude de l'influence des astres supérieurs sur l'organisme humain. Pour lui, il y aurait un effet des astres sur le système nerveux et les maladies mentales et par conséquent, l’astrologie pourrait s’avérer être une réponse, un remède. Aujourd’hui, on voit émerger une médecine douce, dite « astrologique », basée sur les théories d’Hippocrate, qui prescrit des remèdes. Il y aurait un remède adéquat, et des pathologies associées à chaque signe astrologique. Par exemple, le signe astrologique du Lion serait plus enclin aux maux dorsaux et aux problèmes cardiaques (L’Astrologie médicale, s. d.). Le traitement doit être élaboré en fonction d’un thème astral complet. Cette pratique médicale se développe notamment pour des pathologies rencontrées davantage par les femmes – qui sont d’ailleurs les plus enclins croire en l’astrologie - et où la sensibilité de la personne est engagée : les problèmes liés à la fertilité ou à la prise de poids par exemple. L'astrologie se présente alors de nouveau comme un ultime remède, face à plusieurs tentatives non concluantes... Le même schéma d’une recherche de réponse, de sens face à une impuissance inexorable se répète.
Hippocrate, 1990, Oeuvres complètes, Tome II, Les Belles Lettres, Paris.
Kunth Daniel, 2018, « L’astrologie a-t-elle sa place dans le monde contemporain ? »,. Raison présente, vol. N° 207, n° 3, p. 99‑109.
Kunth Daniel et Zarka Philippe, 2005, Brève histoire de l’astrologie occidentale,. Que sais-je?, vol. , n° 2481, p. 13‑28.
Larivée Serge J., 2014, « Chapitre 1. L’idéal scientifique : distinguons science et pseudosciences »,. Points de vue et debats scientifiques, p. 11‑24.
L’Astrologie médicale, Adresse : https://norja.net/sante/html/l-astrologie_medicale.html [Consulté le : 7 mars 2021].
Soprani Anne, 1987, Les rois et leurs astrologues, Solar.
Voltaire, 1763, Traité sur la tolérance.
Weill-Parot Nicolas, 2004, « La Rationalité médicale à l'épreuve de la peste : médecine, astrologie et magie (1348-1500) »,. Médiévales, vol. , n° 46, p. 73‑87.
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