Introduction - Organisations politiques animales : vers un renouvellement non-anthropocentré du terme politique

 


« L’homme est un animal politique » énonçait Aristote dans La Politique1. Opposant alors ladite politique aux animaux en soulignant que l’animal, à qui Aristote refuse la « raison » (logos), ne développe pas d’organisation politique. Selon cette œuvre, la faculté de penser serait le propre de l’humain. Ce dualisme entre organisation politique humaine et société animale sera par la suite perpétué jusqu’au XXème siècle avant d’être progressivement remis en cause par certains anthropologues et philosophes. Si dans l’Antiquité les Hommes considéraient les animaux comme des bêtes incapables de mettre en place la gestion d’une communauté, les sciences modernes sembleraient nous révéler le contraire. Les animaux aussi vivent en communauté et s’y organisentL’évolution récente des mentalités concernant la supériorité intellectuelle des humains sur les animaux, notamment portée par les mouvements antispécistes3, ouvre un champ d’étude très large sur les sociétés animales. Aussi, l’émergence d’une certaine éthologie politique permet de nuancer le caractère exclusif aux humains de certaines caractéristiques, telles que la communication, l’organisation d’une société et les systèmes de vote, que l’on retrouve chez beaucoup d’autres animaux. Toutes ces caractéristiques semblent être sine qua non à l’existence de politique, cela selon sa notion humaine. Le terme de politique étant central dans cette étude, commençons par présenter ce qu’il renferme. Le terme politique signifie « relatif à l'organisation, à l'exercice du pouvoir dans une société organisée ». Il découle de polis, qui signifie Cité en grec. Dès l’Antiquité la politique est ainsi conçue comme l’apanage de l’Homme qui s’établit en société.  La politique renvoie souvent au gouvernement du peuple par diverses formes de pouvoirs, elle permet la vie en communauté mais également une organisation au sein desdites communautés. Dès l’Antiquité celles-ci sont variées. Nous nous appuierons pour notre étude sur les trois grandes formes de gouvernance desquels découlent les autres. Premièrement, la monarchie : une forme de pouvoir détenue par une personne qui contrôle tous les pouvoirs, généralement selon des critères héréditaires ou après avoir affirmé sa force. Deuxièmement, les oligarchies : des régimes politiques au sein desquels l’autorité est entre les mains de quelques personnes ou familles puissantes4, à la manière de Sparte en Grèce Antique. Enfin la troisième forme de gouvernance présente dès l’Antiquité sous une forme primaire est la démocratie. Du grec « demos » (peuple) et «kratos» (pouvoir) elle fait référence à un système politique au sein duquel le pouvoir réside dans la souveraineté du peuple qui est parfois sollicité pour la prise de décision et qui est la source de tous pouvoirs. Depuis, cette politique s’est institutionnalisée. De cette histoire et du fait que le développement de la politique ait souvent été associé au développement de la société humaine, découle le consensus de l’appartenance de la politique à l’humain. En effet, les humains se placent systématiquement comme référents à toutes comparaisons alors qu'avec notre origine récente d'environ trois millions d'années, notre espèce a peu de recul sur l'histoire de la vie, née il y a environ quatre milliards d'années. Ainsi, questionner l’existence de politique chez les animaux en ne questionnant pas le terme politique revient à adopter un regard anthropocentré ; cela revient simplement à chercher les caractéristiques humaines chez les animaux. On parle parfois de politiques pour les animaux au sein de notre société contemporaine, mais l’on s’intéressera ici spécifiquement à la politique par les animaux et à leurs systèmes communautaires. Aussi, dans nos travaux, nous emploierons le terme animal pour désigner les animaux non-humains afin de faciliter l’analyse que nous faisons. 

Notre travail porte entièrement sur le désengagement du terme politique de sa notion d’humanité. Il s’inscrit dans la lignée d’autres travaux, comme ceux d’Emmanuelle Pouydebat avec la notion d’intelligence5 ou de Frans de Waal avec celle de morale6.  « L’homme est un animal politique » mais est-ce le seul ? Nous allons donc questionner la possibilité d’introduction de la notion de politique dans l’organisation des sociétés animales, tout en éprouvant ses limites et sa visée.


1. Aristote, La Politique, Livre I, chapitre 2, Nathan 1987

2. Comme nous l’illustrerons plus tard au cours de cette étude

3. Vision du monde qui récuse la notion de hiérarchie entre les espèces animales et, particulièrement, la supériorité de l’être humain sur les animaux

4. Dictionnaire Larousse

5. Emmanuelle Pouydebat, L’intelligence animale : cervelle d’oiseaux et mémoire d’éléphants, Odile Jacob, 2017


Charline COUDRY, Loïc HASLE, Jade-Bérénice TONG-YETTE

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