« [...] L’homme a commencé par tracer la frontière de ces droits entre lui-même et les autres espèces vivantes, et s’est ensuite trouvé amené à reporter cette frontière au sein de l’espèce humaine, séparant certaines catégories reconnues seules véritablement humaines d’autres catégories qui subissent alors une dégradation conçue sur le même modèle qui servait à discriminer entre espèces vivantes humaines et non humaines »¹.
C’est en ces termes que Lévi-Strauss, dans un entretien pour le Monde en janvier 1979 décrit le rapport particulier que l’être humain établit entre les « autres espèces vivantes » et lui. Topos ancestral, le dualisme être humain-animal a suscité bien des questions et s’est finalement cristallisé sur une dichotomie totale. Malgré cela, l’ombre de la bête et de l’animalité hante toujours les relations au sein du « monde humain ». Colonisés, femmes, queers, tous ces groupes ont été victimes d’une rhétorique naturalisante, qui a été jusqu’à questionner leurs droits et leur humanité.
Des Feminist Studies aux Animal Studies, en passant par les Post-Colonialism Studies, les mécanismes d'oppressions révèlent tous une quelconque utilisation de l'animalité. Outre cela, il est nécessaire de s'interroger sur l'articulation entre l'espèce et d’autres classifications dont le sexe, le genre, la race et l’orientation sexuelle. S'imbriquent-elles ? Historiquement, comment ont-elles coexisté ? Depuis la chasse aux sorcières au XVIe siècle jusqu’à l’ère contemporaine, en passant par l'esclavagisme, l’utilisation systématique de l'animalité à des fins de dégradation pose problème. Que penser du rapport que l’être humain entretient avec le vivant, et plus largement avec la nature ? Cet usage systématique de l'animal n’est-il pas révélateur d’une certaine phobie culturelle, héritée d'une longue tradition philosophique, par rapport à la nature ? Cette interrogation, permet de disséquer la notion d'« espèce », d'effectuer une démarche critique, et nécessite aussi sa propre analyse.
Suite à cette réflexion, il est pertinent de se poser la question suivante : comment les êtres humains, en dominant le monde animal, peuvent-ils à la fois affirmer un archétype humain, construit contre l’animalité, tout en nuisant à une partie de cette même humanité ?
Pour répondre à ces interrogations, nous analyserons, dans un premier temps, la manière dont l’animalité est instrumentalisée dans une optique de domination. Puis, dans un deuxième temps, nous verrons à travers l’intersectionnalité, l’articulation l’espèce dans les stratégies d'oppression. Et pour finir, nous montrerons que l’animalisation est un procédé qui consiste à réifier des corps afin de les asservir.
¹ « Claude Lévi-Strauss - Humilité principielle ». Consulté le 18 novembre 2020. http://bibliodroitsanimaux.free.fr/levistraussmondelong.html
Remarque : certaines citations ont été traduites de l'anglais vers le français par nos soins. Vérifier les sources pour la version originale.
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