Introduction : Comment penser une sociabilité chez le poulpe ?

 


Trois ans déjà que Ramsey est enfermé entre quatre murs en Nouvelle-Zélande. Malgré la vigilance des geôliers, il compte bien réussir à s’évader. Son plan : arroser la lampe de sa cellule pour la faire disjoncter et profiter de l’incompréhension du gardien pour se glisser dans la petite bouche d’aération qu’il a repérée au plafond. À Ramsey la liberté[1] ! Son évasion spectaculaire, Ramsey la doit à une capacité d’analyse époustouflante et à des aptitudes physiologiques remarquables dont sont dotées les individus de son espèce : son système nerveux est constitué de telle sorte qu’il confère à chacun de ses huit bras une certaine autonomie fonctionnelle et une aptitude sensorielle poussée.

 

   Peut-être l’aurez-vous deviné, Ramsey est un poulpe. Ses capacités cognitives sortant du lot, cet animal marin est également réputé pour son mode de vie solitaire. Cependant, Craig Foster, réalisateur passionné par la biodiversité sous-marine sud-africaine et intrigué par cette créature, est parti à sa rencontre. Pendant un an, il a suivi et immortalisé en vidéo le quotidien de cet animal aux particularités physiologiques si étonnantes. Le documentaire My Octopus Teacher témoigne de la relation qu’il a pu tisser avec un poulpe, illustrant la remise en cause des postulats scientifiques qui en faisaient jusque-là une créature isolée. Des études récentes, encore balbutiantes, semblent aller dans ce sens et indiquer l’existence d’une dimension sociale au comportement des poulpes. La découverte en 2009 d’Octopolis, une ville[2] située dans la baie de Jervis au large de l’Australie, a bouleversé les préjugés sur le caractère solitaire du poulpe. Ce site sous-marin formé de petites tanières en débris de coquillage s’articulant autour d’un objet d’origine humaine abrite une communauté de pieuvres. En 2017, l’apparition dans le débat scientifique d’Octlantis, une autre ville plus autonome de l’intervention de l’homme (ce second site ne s’articule pas autour d’un objet à la provenance humaine), a intensifié cette controverse. L’agglomération de plusieurs membres de la même espèce au sein d’un même site invite à s’interroger sur la nature de cette réunion : s’agirait-il d’une forme de sociabilité, éventuellement favorisée par les capacités cognitives fascinante de l’animal ? Alors que le monde de la recherche scientifique questionne l’acception solitaire du poulpe – Octopus Tetricus, l’espèce présente sur les sites précités, n’en serait qu’un exemple –, nous nous demanderons : comment penser une sociabilité animale à partir du poulpe, animal supposé solitaire ? Pour cela, nous exposerons ses dispositions biologiques, favorables à des formes de relations sociales ; puis nous évoquerons les cas existants d’interactions, dévoilant un animal plus sociable qu’imaginé ; enfin, nous finirons la démonstration en abordant la dimension d’ingénierie d’écosystème, dont le poulpe peut se targuer.



[1] Cette histoire est inspirée de deux faits réels : d’une part, l’évasion du poulpe Inky de son aquarium pour rejoindre l’océan en Nouvelle-Zélande (« The great escape: Inky the octopus legs it to freedom from aquarium », The Guardian, 2016, URL : https://www.theguardian.com/world/2016/apr/13/the-great-escape-inky-the-octopus-legs-it-to-freedom-from-new-zealand-aquarium), d’autre part, le goût pour l’animation d’Otto, poulpe de l’aquarium de Cobourg en Allemagne, qui faisant les plombs en crachant de l’eau sur une ampoule électrique, ce qui avait pour conséquence de faire rappliquer du monde au milieu de la nuit (« The Story Of An Octopus Named Otto », NPR Sciences, 2008, URL : https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=96476905&t=1615126269625)

[2] Le terme est à nuancer fortement, nous le verrons ensemble.


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