Fourmis esclavagistes préparant un assaut (lemonde.fr)
La biologisation des faits sociaux est un écueil propre à notre époque. En effet, le monde intellectuel dans lequel nous vivons place l’explication scientifique comme une valeur puissante et utile au-dessus des autres, ce qui explique la tentation naturelle de s’y aventurer pour chercher des arguments relatifs aux enjeux contemporains. Il est par exemple aisé de voir que les premières tentatives de biologisation du social remontent à la seconde partie du XIXe siècle ; une telle démarche n’a logiquement pas d’intérêt dans un monde où les références de vérité et de bien appartiennent à la religion – il ne s’agit plus de chercher une justification dans les Écritures saintes, comme ce fut longtemps le cas, mais dans les connaissances produites par les scientifiques sur la nature, et particulièrement sur les animaux. C’est dans une ère aux valeurs scientifiques que la science semble le champ le plus convaincant, au point de l’utiliser contre ses propres principes de précision, de connaissance fondée, et d’esprit critique.
Car les limites de la biologisation des faits sociaux sont évidentes. Nous avons montré que les analyses scientifiques du milieu naturel et des comportement animaux donnent des résultats complexes et trop nuancés pour supporter des jugements moraux humains, d’autant plus que les conditions dans lesquelles évolue le vivant non-humain sont trop différentes pour qu’un parallèle ait une quelconque légitimité. Et quand bien même ce serait le cas, nous voyons que des discours scientifiques ou pseudo-scientifiques n’ont pas leur place dans des débats de société qui ne concernent que le monde humain.
L’étude comparative sur les formes d’esclavage chez les fourmis confirme cela. Il y a certes des phénomènes de domination et de protestation comparables, mais sans commune mesure avec ce que l’on constate dans l’Histoire humaine – bien qu’il fût intéressant d’étudier parallèlement les actes de révoltes. L’Homme, en tant que partie du vivant caractérisée par sa nature politique et ses grandes potentialités, ne peut être expliqué par l’observation de comportements semblables chez d’autres êtres vivants – nous sommes bien obligés de douter lorsque Darwin déclare l’absence de « différences fondamentales ». Dès lors, il n’y a pas de sens à utiliser la comparaison à des fins normatives dans la société, la morale ou le droit.
Toutefois, cela ne signifie aucunement, dans l’autre sens, que l’on ne peut pas faire bénéficier le monde vivant de nos moyens d’action pour leur conservation et leur bien-être. La plus grande complexité politique et intellectuelle que nous avons constaté – et qui interdit la biologisation du social – apporte inévitablement une responsabilité envers le vivant, un vivant différent mais ni inférieur, ni hors de notre monde. Cette remarque semble s’imposer en marge de notre sujet de réflexion, puisque l’étude des dominations parallèles pose le problème de la domination entre humains et animaux. Comme l’écrit le philosophe antispéciste Peter Singer dans Animal Liberation (1975), “If possessing a higher degree of intelligence does not entitle one human to use another for his or her own ends, how can it entitle humans to exploit non-humans?”
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