Partie 2 : Le rôle des signes astrologiques dans notre société : une astrologie de masse et un désaccord universitaire



A) L'astrologie contemporaine comme moyen d'intégration au groupe pour l'être humain

Les enquêtes réalisées sur l’astrologie et son public montre toutes des rapports entre la croyance et les paramètres socioculturels. Par exemple, les agriculteurs sont plus méfiants que les employés et les cadres. Ceci s’explique par un paramètre géographique : la ville offre un cadre idéal pour la diffusion de l’astrologie. Le cadre urbain, abritant un individualisme grandissant, lui est parfaitement adapté. On observe également dans les villes une croissance de la popularité d’autres parasciences comme l’occultisme. En ce qui concerne la question du genre, les femmes ont un degré de croyance plus élevé que les hommes peu importe l’âge, la profession ou le niveau culturel. Selon l’enquête réalisée par D. Boy et G. Michelat, les individus les plus réceptifs à l’astrologie sont ceux souffrant d’un sentiment d’angoisse en raison de leur insertion sociale inachevée (Boy et Michelat, 1986). On parle ici des personnes seules, des étudiants, des chômeurs… Les individus qui « d’une manière générale […] ont consenti à un investissement scolaire important mais qui n’occupent qu’une position sociale moyenne » (Kunth et Zarka, 2005a), comme les travailleurs sociaux ou les instituteurs, vont plus facilement vers ces différentes représentation du réel car ils souffrent d’un sentiment d’inadaptation au monde (Boy et Michelat, 1986).

L’astrologie dans la société actuelle est un moyen d’intégration au groupe car elle procure un sentiment d’appartenance - par exemple parmi ceux qui partagent le même signe. Ceci devient évident lorsqu’on observe des données sociologiques comme les croyances religieuses. La croyance aux parasciences, et ici plus précisément à l’astrologie, est à son maximum chez les individus ayant une croyance religieuse intermédiaire. En effet entre les catholiques pratiquants non pratiquants et les athées la plus grande part de croyants aux parasciences se trouve parmi les catholiques non pratiquants (50% d’entre eux) (Kunth et Zarka, 2005a). Ces personnes ont un degré de croyance intermédiaire, ne leur apportant ni le sentiment de sécurité d’une intégration au groupe des pratiquants ni les certitudes de l’athéisme. Nous sommes donc bien dans une logique de communauté et une volonté de s’intégrer au groupe social. Comme dit plus tôt, l’astrologie peut s’appliquer à un groupe, comme celui des individus partageant le même signe du zodiaque. Dans ce cas « elle cherche à définir les qualités et tendances du groupe, soit pour le compte d’une personne désireuse de définir une attitude vis-à-vis de ce groupe, soit pour prédire si telle personne sera capable de s’y intégrer » (Kunth et Zarka, 2005a). L’enjeu est toujours de s’entendre avec ses congénères, de chercher des points communs avec eux, par le biais de leur signe de naissance. On voit particulièrement émerger aujourd’hui la question du signe astrologique comme faisant partie de la construction identitaire, notamment chez les jeunes (Génération Z, millennials). En effet, la question de l’animal de notre ciel de naissance peut avoir un enjeu dans les relations sociales, et certains signes astrologiques sont d’ailleurs stigmatisés et discriminés pour le caractère qui leur est associé (le « double jeu » associé aux Gémeaux par exemple). D’autres vont jusqu’à accorder de l’importance aux compatibilités astrologiques en amour et en amitié : @smileofstxlxs publie le 19 février sur Twitter « les gémeaux masculins, hors de ma vue ». De nombreuses applications (comme Co-star), comptes Instagram, Facebook, twitter, forums... etc. sont dédiés aux signes et aux comportements qui leurs sont associés. C’est également devenu un biais pour excuser certains vices, ou travers qui nous seraient alors « donnés » par les astres...



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Cet engouement pour l’astrologie a des conséquences observables. Premièrement, cette discipline est entrée dans la logique capitaliste de l’économie actuelle, par le biais des horoscopes de presse, des numéros payants sans parler des astrologues professionnels qui proposent des séances payantes. Certains ont une influence très importante et sont suivis en masse sur les réseaux sociaux, sont invités sur des plateaux télévisés… On est loin du retour aux sources que désirent certains comme Denis Labouré. Les astrologues, sans parler de leur notoriété, ont une position influente puisqu’ils sont en charge de prédire où d’expliquer des évènements, et ceux qui les consultent leur accorde une légitimité et une confiance sans faille. Ainsi les suggestions émises par les astrologues peuvent devenir autoréalisantes, le client étant persuadé que c’est ce qu’il va se passer il se met en condition. Certains individus conforment leur caractère aux tendances attribuées à leur signe astrologique. En plus de la question du libre arbitre que nous approfondiront plus tard, il ne faut pas oublier que l'astrologie s’immisce dans des domaines pour lesquels elle n’a pas été pensée à l’origine. Il existe par exemple une astrologie boursière, fondée sur les mouvements d’Uranus. En France on peut consulter le bulletin mensuel Bourse anticipation, et elle a même été utilisée à Wall Street ! L’astrologie est ainsi vue par une partie des êtres humains comme un moyen de prévision fiable, ce qui pose un problème à de nombreux scientifiques. Des entreprises utilisent notamment l’astrologie pour leurs choix de recrutement. Elle peut donc être une cause de discrimination - au travail dans notre exemple. On voit que les astrologues n’ont pas seulement une influence sur la vie privée mais aussi sur la vie économique et sociale.


B) Le monde scientifique et universitaire face aux croyances astrologiques et à la position des astrologues


Dès 1970 on s’intéresse à la popularité grandissante des parasciences, et on se demande pourquoi ce retour à ces croyances ancestrales, bien que l’astrologie contemporaine se soit beaucoup éloignée de sa forme originale. Cette année-là, Edgard Morin, sociologue et philosophe français, dirige une enquête sur l’envergure nationale que prend l’engouement pour l’astrologie, qui donnera lieu à la publication d’un livre : « La croyance astrologique moderne, Diagnostic sociologique ». Il déclare dans une interview « Au moment où l’homme a fait ses premiers pas sur la Lune, s’est épanoui quelque part sur Terre le culte de Mme Soleil ! » (Kunth et Zarka, 2005b). On voit bien la curiosité et l’inquiétude que provoque ce retour sur le devant la scène de l’astrologie, et ce dans le milieu des sciences humaines mais aussi dans celui des sciences dures. Ce retour est paradoxal dans une société contemporaine où la raison est devenue la norme et la science ne cesse de faire des progrès. Il faut cependant nuancer notre propos, car des études récentes ont montré que si l’astrologie était présente, la croyance en celle-ci ne progressait pas vraiment de manière sensible depuis plusieurs années (Kunth et Zarka, 2005b). Concernant le rapport à la science des partisans de l’astrologie contemporaine, il estlà aussi question de niveau intermédiaire : le degré de croyance est à son maximum pour les personnes ayant une culture scientifique moyenne. Selon l’enquête SOFRES de 2001, 61% de ceux qui s’intéressent à la science croit en l’astrologie, contre 49% chez ceux qui s’en désintéresse. Adorno, en étudiant les rubriques astrologiques de la presse écrite, élabore le concept de la semi-érudition, ce dont relèverait la croyance en l’astrologie. Le semi-érudit va à l’inverse de la culture scientifique légitime car sa conversion au système de pensée scientifique est inachevée (Adorno, 2002). En effet la croyance astrologique culmine au sein des classes moyennes qui possèdent un diplôme intermédiaire. Cette croyance est minimale chez les classes sociales les plus « instruites », c’est-à-dire celles dont les membres ont suivi des études supérieures, notamment scientifiques. On comprend donc que l’engouement pour les parasciences dont fait partie l’astrologie ne résulte pas d’un rejet des sciences, mais plutôt d’un nivellement des deux domaines. En 1992, Ulrich Beck décrit un désenchantement de la science qui coïncide avec une rationalisation des parasciences, et en particulier des prévisions horoscopiques. Il s’appuie sur les analyses de Max Weber qui porte sur le désenchantement du monde et y ajoute une deuxième phase. En effet Weber a étudié la disparition de la magie comme moyen d’appréhender notre environnement, effet direct de la rationalisation scientifique des croyances traditionnelles qui ont été soumise au doute méthodique. Mais Beck considère qu’il n’a décrit que la première phase du phénomène. Il y ajoute une deuxième, qui est celle durant laquelle la science se penche sur sa propre activité et met en doute sa capacité à donner une vérité universelle. Le rôle de l’épistémologie a été très important, puisqu’il a permis une critique de l’activité scientifique. En mettant fin à la croyance en un savoir unique et universel, et en montrant que les sciences sont aussi critiquables, on assiste à un nivellement entre sciences et parasciences. Ainsi la croyance en l’astrologie n’exprime pas un rejet des sciences mais un équilibrage des deux statuts (Peretti-Watel, 2002).



Ce retour de l’astrologie doit toutefois être nuancé. En effet, selon Daniel Boy (2002), l’apparition des horoscopes et l’attribution de traits de personnalité en fonction des signes du zodiaque est certes une manifestation moderne de la croyance ancestrale, mais cela ne veut pas dire que les individus qui consultent les horoscopes adhèrent entièrement à la représentation astrologique du réel. De plus, une part des lecteurs font de cette consultation un jeu social et conservent un regard critique et septique quant aux prédictions. Elle flatte notre ego : « L’horoscope est la seule rubrique d’une revue ou d’un journal où il est question de soi » (Kunth et Zarka, 2005a). Les études comme celle d’Adorno ne permettent pas de mesurer précisément le degré de croyance des individus. Edgar Morin parle lui de « croyance clignotante ». L’astrologie à l’époque contemporaine fait partie des biais de socialisation, mais la croyance en celle-ci ne devient pas une norme. Le paradoxe entre la croyance astrologique et notre société contemporaine - où la raison prime - devient donc moins étonnant, au vu des explications que l’on vient de donner. Mais qu’en est-il du milieu des scientifiques et des universitaires ?


Dans l’enquête de 1982 de Boy et Michelat citée précédemment (Boy et Michelat, 1986), 53% des individus interrogés pensent que l’astrologie est une science. Il y a un décalage entre la population « lambda », c’est-à-dire ayant une culture scientifique moyenne, et la population possédant un haut niveau d’étude. Les réponses du monde scientifique sont différentes : certains restent neutres voire indifférents car ils considèrent que l’astrologie est de nature sociologique et psychologique, et relève donc d’un choix personnel. D’autres, au contraire, s’engage dans une croisade contre cette pratique, la considérant comme une menace envers la démocratie et le libre-arbitre. Dans leur livre L’astrologie est-elle une imposture ?, les physiciens Daniel Kunth et Philippe Zarka, qui insiste sur l’importance de la vulgarisation scientifique, s’inscrivent dans cette dernière voie. Ils regrettent l’affaiblissement de la valorisation des enseignements scientifiques en France et considèrent que l’astrologie renforce l’individualisme pathologie du monde actuel et empêche les individus de s’occuper des questions importantes comme le réchauffement climatique, en s’appuyant sur leur peur de l’avenir. Pour légitimer leur propos ils se livrent, avant leur prise de position, à une démonstration du caractère non scientifique de l’astrologie.


Concernant la position des astrologues, certains se proclament « astrologues savants » et souhaitent avoir une place à l’université. Le cas d’Elisabeth Tessier, qui a fait beaucoup de bruit dans le monde universitaire et plus particulièrement celui des sociologues, en est un bon exemple. Celle-ci a soutenu une thèse qui a été validée en 2001, lui donnant le statut de docteur. Cet évènement a provoqué de vives réactions, et beaucoup de sociologues se sont élevés contre la validation. Bernard Lahire a publié en 2007 un article dans lequel il écrit : « Une lecture rigoureuse […] conduit à un jugement assez simple : la thèse d’E. Teissier n’est, à aucun moment ni en aucune manière, une thèse de sociologie » (Lahire, 2007). Il considère que sa thèse n’adopte que le point de vue de l’astrologue et ne contient aucune rigueur scientifique, aucune données empiriques ni hypothèse. Cet évènement se place au centre d’un débat entre les méthodes quantitatives et qualitatives des études sociologiques. Michel Maffesoli, le directeur de thèse d’Elisabeth Tessier, s’est toujours inscrit en faux face aux principes d’objectivations qui consistent à considérer les faits sociaux comme des choses et en privilégiant le vécu et l’analyse spontanée. Beaucoup de sociologues, comme Christian Baudelot et Roger Establet, considèrent qu’il tombe dans son propre piège « en tentant d'accréditer l'équivalence entre l'astrologie et sa sociologie » (La sociologie sous une mauvaise étoile, s. d.).
 

C) Horoscope et Astrologie, entre conseil et contrôle social. Une organisation du zodiaque sur une tradition astronomique.


Le zodiaque peut être considéré comme « une autoroute céleste » (Kunth et Zarka, 2005b) sur laquelle passeraient tous nos astres. Lune, Soleil, étoiles, toutes les planètes s’y retrouvent et ne peuvent en sortir. Sous forme de roue ou de rond, son découpage s’est d’abord fait en 12 parties égales, chaque nom porte le nom d’une constellation. Ces dernières représentent des figures formées par des étoiles : les signes du zodiaque. Toutes les parties sont de taille égale et prennent une forme rectangulaire. L’emplacement des constellations n’est pas fixe, avec le temps elles ont changé de place. Ainsi, la partie du zodiaque portant le nom des Gémeaux n’accueille pas dans son rectangle la constellation du Gémeaux. Constellations et signes du zodiaque sont donc deux termes à ne pas confondre. Le zodiaque correspond donc à la découpe en 12 parties d’origine, un plan du ciel en photo ou les rectangles accueillaient leurs constellations éponymes, pendant que les astres naviguent au sein de cette roue. Les signes coïncident désormais et change d’emplacement lentement. Leur forme aussi a pu changer. Cependant, même de nos jours, les 12 noms de signes sont restés : le Bélier, le Taureau, les Gémeaux, le Cancer, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Verseau et les Poissons.




Laurence O, Les pires défauts des signes astrologiques, Santé Magazine, 1 février 2019




Ces signes ont ensuite été utilisés en astrologie, et notamment par la presse et les horoscopes comme repères spatio-temporels pour connecter les hommes à un signe. L’Homme est associé au signe du zodiaque dans lequel le soleil se trouve à leur naissance. Chaque signe possède des traits qui lui sont attribués. Les signes sont classés par éléments en astrologie : Feu (Bélier, Lion, Sagittaire) ; Eau (Poisson, Cancer, Scorpion) ; Terre (Capricorne, Taureau, Vierge) et Air (Verseau, Balance, Gémeaux). On retrouve de nombreuses qualités semblables pour chaque élément. Ainsi, les signes d’eau sont réputés pour être très émotifs. L’émergence de l’horoscope dans la presse au XIXème va créer une « astrologie de masse » (Peretti-Watel, 2002) qui va créer de réels stéréotypes autour des signes. De plus, ce type d’astrologie peut être vu comme un outil pour maintenir l’ordre social. En conseillant certaines actions les horoscopes vont participer à un contrôle social. L’horoscope utilise des techniques de persuasion générale pour aiguiller le lecteur dans ses choix. Ce dernier va se soumettre à cette « autorité » pour agir, apporter une réponse à ce qu’il ne peut expliquer. Par ce conformisme, l’agent est dépossédé de son libre arbitre. Il abandonne ses choix rationnels en se soumettant aux conseils de l’horoscope. Les propos sont calculés pour toucher le plus de personnes. L’horoscope jouerait avec les anxiétés et es quêtes qui poussent les individus à se plonger dans l’astrologie. En utilisant des objets sociaux qui entourent le lecteur, l’horoscope va reléguer son autorité sur eux. Par exemple, Adorno montre que les groupes de pairs et la famille sont très souvent cités pour inciter le lecteur à faire son choix. Tout l’espace social est mobilisé pour faire en sorte que l’individu croit en ce qu’il est en train de lire. Cela permet de le conforter dans la véracité des propos.


En plus d’avoir un rôle dans le domaine social des lecteurs, l’horoscope et l’astrologie sont aussi utilisées par le pouvoir politique. En effet, la rubrique horoscope du Los Angeles Times. était financée par le parti Républicain en 1953 (Adorno, 2002) en pleine Guerre Froide. Ainsi, les démarches de persuasions portaient à maintenir les normes liées aux valeurs du parti conservateur pour éviter la « dérive marxiste ». Le contrôle social que l’horoscope créait était donc orienté. Ainsi, comment l’association de l’astrologie et de la politique s’est effectué au cours du temps ?



Adorno Theodor, The Stars Down to Earth and Other Essays on the Irrational in Culture, 2002, Routledge.

Boy Daniel et Michelat Guy, 1986, « Croyances aux parasciences : dimensions sociales et culturelles »,. Revue française de sociologie, vol. 27, n° 2, p. 175‑204.

Kunth Daniel et Zarka Philippe, 2005a, « L’astrologie et les sciences humaines »,. Que sais-je?, vol. , n° 2481, p. 107‑117.

Kunth Daniel et Zarka Philippe, 2005b, « Qu’est-ce que l’astrologie ? »,. Que sais-je?, vol. , n° 2481, p. 29‑67.

La sociologie sous une mauvaise étoile, Adresse : https://www.lemonde.fr/une-abonnes/article/2001/04/17/la-sociologie-sous-une-mauvaise-etoile_173107_3207.html [Consulté le : 7 mars 2021].

Lahire Bernard, 2007, « 13. Une astrologue sur la planète des sociologues ou comment devenir docteur en sociologie sans posséder le métier de sociologue ? »,. Poche/Sciences humaines et sociales, p. 351‑387.

Peretti-Watel Patrick, 2002, « Sous les étoiles, rien de nouveau ? L’horoscope dans les sociétés contemporaines »,. Revue française de sociologie, vol. 43, n° 1, p. 3‑33

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