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A – Le chien comme animal de compagnie et non pas comme outil
Le chien-guide doit être nourri, logé mais aussi éduqué. Les races de chiens-guides ne sont pas choisies au hasard. Ils sont intelligents et apprennent rapidement. Dans un premier temps, le chien doit être éduqué, cela passe par l’apprentissage de manières de vivre au quotidien dans un environnement entouré d’humains. Cependant, la formation du chien-guide va encore plus loin que l’éducation, elle s’étend au dressage. En effet, le dressage a une dimension plus forte car le chien apprend des comportements et des gestes pour agir et réagir dans son environnement. Il apprend à faire face à des obstacles et à protéger son binôme de tout danger en utilisant des moyens de prévention et d’alerte appris lors du dressage. Ce dressage passe par des exercices précis et répétitifs afin de créer des automatismes. Lorsque le chien-guide rencontre son nouveau binôme, le dressage continue. Il doit apprendre à vivre au côté de la personne malvoyante et elle aussi. Chacun apprend la manière de vivre de l’autre et s’adapte, mais toutes les personnes sont différentes et tout chien est différent, alors de nouveaux apprentissages prennent place pour pouvoir répondre aux besoins de chacun. Le chien-guide n’est pas un outil, il se forme certes avant d’être adopté, mais il continue de grandir et de s’épanouir avec son binôme. Ce n’est pas un simple métier, il n’a pas seulement un usage. Il apporte de l’aide à la personne malvoyante mais aussi de l’amour, et c’est aussi en un sens ce qui est recherché[1].
La dimension émotionnelle de la relation chien-guide/humain a alors, au départ, tous les moyens pour prendre de l’ampleur et créer des liens solides. Cependant, il faut du temps pour construire et instaurer un sentiment de confiance entre eux. Il est impératif pour la personne malvoyante et aussi pour le chien d’avoir une entière confiance envers l’un et l’autre. Cette confiance prend forme au cours du temps qu’ils passent ensemble. Les balades comme les câlins peuvent apporte de l’affection à l’un comme à l’autre. Selon Eve Morland[2], « Les caresses augmenteraient la quantité d’hormones du bonheur, diminueraient notre stress et assureraient notre attachement envers eux ». Si la personne malvoyante fait pleinement confiance au chien-guide, celui-ci le ressentira et fera tout pour protéger la personne, il est alors indispensable d’instaurer une bonne entente, car cela a un impact sur l’aide qu’apporte le chien-guide. En voyant l’ampleur de cette relation, il est pertinent de questionner le terme de « maître·sse ». En effet, dans la mesure ou un fort lien les unis, employer ce terme viendrait mettre une distance dans cette relation presque intime. En construisant une telle relation, la personne malvoyante et le chien-guide forment un binôme. Le chien n’est plus perçu par la personne malvoyante comme un simple chien-guide ou une assistance, mais comme un ami proche qui lui vient en aide.
Une fois le binôme crée, le chien-guide devient comme un membre de la famille. Étant un animal social, il intègre la vie de la personne aveugle, il s’adapte à son environnement et aussi aux personnes qui entourent régulièrement la personne. Lorsque l’on dit que le chien devient un membre de la famille, en plus d’impliquer la personne malvoyante, la famille humaine est aussi impliquée. Le binôme se déplace tout le temps ensemble, que ce soit au supermarché ou bien dans des célébrations. La famille intègre également le chien. On voit bien le caractère social du chien qui s’habitue à l’environnement entier de la personne. La relation du binôme prend forme et se construit entre la personne malvoyante et le chien, puis une fois que la relation devient forte et qu’il y a un vrai sentiment affectif chez les deux, elle s’étend au milieu social de la personne.
B - La création d’une dépendance pouvant être nocive pour le chien
Lorsque l’équipe chien guide et personne en déficience visuelle est formée, bien que le chien apporte autonomie et liberté, une dépendance se crée d’une part du côté de l’être humain. En effet, son chien devient sa vision absente. Car les déficients visuels, lorsqu’ils utilisent la canne blanche, sont soumis à de nombreuses contraintes. Ils doivent par exemple limiter leurs déplacements afin d’éviter les mises en dangers qui pourraient leur causer un accident, ils doivent être en permanence très concentrés. Cette concentration entraîne une grande fatigue et ainsi ceux-ci ont sans cesse besoin de repos après une sortie. L’assistance animale modifie ainsi le quotidien du maître, par exemple celui-ci peut désormais contourner les obstacles plutôt que de les percuter pour constater leur présence et leur position, il a un sentiment de sécurité qui lui permet de se détendre et de se balader sans avoir la peur omniprésente de faire un accident. Le chien permet à l’être humain de parcourir de plus grande distance, et lui offre donc la possibilité d’accomplir des activités jusque-là inaccessibles [3]. Ainsi l’être humain s’habitue à ce nouveau mode de vie et développe une totale dépendance de son chien qui devient en quelques sortes ses yeux.
Cette dépendance entraîne une peur chez la personne. En effet, celui-ci ayant d’une part peur de perdre son compagnon de vie auquel il s’est attaché, il aussi la peur de perdre « l’outil » qui lui permet d’acquérir des fragments d’indépendance et de liberté. Il devient alors tentant de le laisser en permanence dans des espaces clos près de lui. Mais cela peut être très nocif pour le chien dans la mesure où ça peut agir sur sa motivation au travail. Effectivement, ne pas laisser au chien un temps de loisir c’est l’empêcher de pouvoir retrouver ses instincts naturel - renifler, interagir avec ses congénères, courir etc. - contre lesquels on lui demande de lutter pendant le travail. Pourtant, c’est justement en lui assurant un équilibre entre travail et temps de détente que le chien se sentira récompensé et donc qu’il sera d’autant plus motivé dans son travail.[4]
Pour éviter ce genre de situation des dispositifs sont en train d’être créés pour les chiens d’assistance. En effet, nous retrouvons ces problèmes non pas seulement avec les chiens guide, mais avec tous les chiens d’assistance. La même histoire se répète sans cesse, les individus en situation d’handicap développent une grande dépendance envers leurs chiens et par la même occasion une peur de les perdre. Ainsi les laboratoires LAB-STICC, LIG et LISA a ont décidé de développer un dispositif permettant aux être humain d’être rassuré lorsque leur chien sort afin qu’ils puissent leur laisser un temps libre. Ce dispositif est un collier « intelligent », ce collier permet à l’être humain de rester connecté à son compagnon et de lui transmettre des ordres à distance via une application qu’il devra installer sur son smartphone[5]. Une application à reconnaissance vocale est en train d’être développé pour les déficients visuels. Ainsi ce collier pourrait avoir un rôle essentiel dans le binôme car il permettrait à l’être humain de rester connecté à son compagnon même à distance, lui permettant alors de laisser son chien sortir seul en toute confiance.[6]
C - La retraite du chien synonyme de séparation douloureuse pour le binôme : la fin d’une relation entre compagnons
Pour certain lorsque le chien part à la retraite c’est comme perdre la vue une deuxième fois. En effet, d’une part il perd son compagnon de travail qui lui facilitait la vie, en l’accompagnant, le rassurant dans un certain sens en le guidant lors de trajets qu’il considérait avant comme dangereux et qui était source de stress. Mais il perd aussi, son chien, son animal de compagnie, qu’il a nourrit, chérit durant des années et avec lequel il a développé une relation solide. Lors de la retraite du chien, il y a deux possibilités. D’une part, le maître peut garder son chien, mais celui-ci sera seulement un animal de compagnie, il ne pourra plus travailler. Dans la majorité des cas, l’être humain ne garde pas le chien, car celui-ci devra encore payer les dépenses liées à son nouveau chien guide et bien souvent, il n’a pas les moyens de s’occuper de deux chiens. Ainsi, l’animal peut être adopté par un membre de la famille ou un ami de la femme où l’homme chez qui il était mais il peut aussi être adopté par une famille d’accueil qui aura été préalablement choisi par l’école ou l’association qui a formé l’animal. Il est important de noter que ce n’est pas au maître que revient la décision mais à la structure qui a fourni le chien [7]. Ce qui rend encore la séparation plus douloureuse si le maître voulait garder le chien, à tel point que ceux-ci doivent être suivi psychologiquement afin d’être préparé à cette séparation.
Le maître n’est pas le seul à s’attacher à son chien. Au contraire, le chien s’attache lui aussi énormément à son maître et cela peut conduire à une dépendance affective. Même si l’on apprend à ces chiens à être indépendants afin de pouvoir aider des personnes qui ne peuvent pas l’être, on ne leur apprend pas à contrôler leurs sentiments afin de ne pas être dépendant affectivement de leur maître. En effet, pour éviter cette dépendance, plusieurs mesures doivent être appliquée comme habituer le chien à rester plusieurs heures seul à la maison ou encore porter moins d’attention à son chien lorsqu’on est à la maison. Ces mesures ne peuvent pas être appliquées dans le cas d’une relation entre chien guide et personne handicapé, dans la mesure où la personne en situation d’handicap ne peut sortir sans son chien sauf situation exceptionnelle c’est-à-dire si elle sort par exemple avec des amis ou des membres de sa famille. Ainsi l’heure de la séparation est d’autant plus triste pour le chien que pour l’humain. Par ailleurs, le chien perd aussi son compagnon qui s’occupait de lui, qui le nourrissait, lui apporter des soins ou encore le sortait. Ainsi lui aussi perd « le maître de sa vie », et il va donc perdre ses repères s’il est confié à des inconnus.
Nous avons alors vu que la notion de dépendance est importante à éclairer afin de pouvoir voir en quoi cette relation entre personne malvoyante et chien-guide n’est justement pas de l’ordre de la dépendance. En effet, la relation est davantage complémentaire avec une grande dimension affective où le chien n’est pas un simple outil mais devient un compagnon de vie. Nous avons également vu les limites de cette relation avec la séparation inévitable de ce binôme, notamment avec la retraite du chien-guide, qui fait autant de mal à la personne malvoyante qu’au chien. Aller au-delà de la dimension d’un service rendu permet alors d'analyser le caractère de compagnonnage du binôme qui le renforce.
[1] Herpin Nicolas et Verger Daniel, « La possession d’animaux de compagnie en France : une évolution sur plus de vingt ans expliquée par la sociologie de la consommation », in L’Année sociologique, no 2, Vol. 66, 24 octobre 2016, p. 421‑466.
[2] Editrice pour le site web Wamiz, passionnée d’animaux
[3] Debarge Yasmine, « Vivre avec une assistance animale, ou comment la présence d’un chien guide d’aveugle redéfinit les relations du déficient visuel avec les autres membres de la famille », in Enfances, Familles, Générations, no 32, 2019.
[4] Blanchard Manon, Comment les chiens guides d’aveugles sont-ils éduqués ? [Interview], https://webzine.okeenea.com/education-chiens-guides-aveugles-interview/ , 25 février 2019
[5] Un « collier intelligent » pour les chiens d’assistance prochainement testé à Lorient, https://anr.fr/fr/actualites-de-lanr/details/news/un-collier-intelligent-pour-les-chiens-dassistance-prochainement-teste-a-lorient/
[6] Lemasson Germain, Interaction animal machine : dispositif connecté pour chien d’assistance, These de doctorat, Lorient, 2016, (dactyl.).
[7] Famille d’accueil - éducation chien d’aveugle - Chiensguides.fr, https://www.chiensguides.fr/chien-guide/retraite-du-chien-guide, consulté le 7 mars 2021.
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