Dans cette édition spéciale de notre magazine Les Grands Dossiers de sciences humaines nous nous consacrerons à l'hindouisme. Vous aurez entre autre l'occasion de lire l'interview d'Ysé Tardan-Masquelier. Dans celle-ci elle nous donnera ses conseils pour appréhender et comprendre au mieux cette religion, et nous présentera le livre de Bernard Baudoin : L'Hindouisme.
Pour
notre interview de ce mois-ci notre reporter Swann Gaillard a choisi de
s’entretenir avec Ysé Tardan-Masquelier, une écrivain, historienne des
religions et spécialiste de l’hindouisme. Enseignante à l’université Paris
IV-Sorbonne et à l’institut catholique de Paris, elle transmet à ses élèves son
savoir concernant les spiritualités orientales.
Swann :
Ysé Tardan-Masquelier, vous
qui êtes spécialiste de cette religion, pensez-vous que cette religion soit
facilement accessible aux pays occidentaux ?
Ysé : Non je ne pense pas que ce soit le
cas. Non pas que la théorie ou encore les « règles de conduites »
dictées par cette religion soit difficiles à comprendre, mais leur application
dans les pays qui la pratique l’est.
Swann:
Qu’entendez-vous par
là ?
Ysé : Énormément de personnes s’intéressent
à l’hindouisme en France comme dans les autres pays occidentaux. Ils aiment
apprendre les théories de cette religion mais cherchent à tord leur application
concrète dans les pays qui, comme l’Inde, la pratique en masse. Il faut bien
comprendre qu’il est compliqué pour un français par exemple de voir une réelle
application de la religion dans la politique nationale du pays. Il trouvera
peut-être que cette politique ainsi que le comportement de ses habitants est
contradictoire avec la doctrine qu’ils défendent. Cependant il ne faut pas
qu’ils oublient qu’ils portent en eux un point de vue purement occidental. Ils
ont été élevé pour la plupart avec des codes sociaux et moraux que leur famille
leur ont transmis et qui sont caractéristiques du mode de vie occidental. Ceux-ci
ne s’appliquent pas à l’Inde. Il y a bien sûr des critiques à faire sur le
comportement des indiens face à leur religion mais je pense que pour en
formuler objectivement il est nécessaire d’oublier toutes les idées préconçues
que nous pouvons avoir.
Interviewer :
Quelle est alors, selon
vous, la meilleure méthode pour aborder avec le maximum d’objectivité cette
doctrine ?
Ysé :
Je pense que le plus
important est tout d’abord, comme je vous l’ai dit avant, de mettre de côté nos
préjugés et d’aborder la doctrine avec des documentaires et des livres traitant
de ce sujet d’une manière très objective. Le mieux est encore d’aller dans un
pays ou l’hindouisme est très présent et où il fait intégralement parti du paysage
culturel. L’Inde est pour moi un choix évident. Cependant il est clair que cela
nécessite d’avoir un certain budget, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Les
livres et les documentaires reste ainsi la manière la plus simple d’aborder la
doctrine.
Swann
: Vous parliez plus tôt d’ouvrage
objectif, avez-vous des exemples particuliers en tête ?
Ysé :
Je pense que pour avoir une
bonne première approche le plus simple est de prendre des manuels introductifs
à la doctrine. N’importe lequel tant qu’il reste assez scolaire fera l’affaire.
Dernièrement j’ai lu un livre de Bernard Baudoin réussissant très bien cela :
l’Hindouisme. L’un des grands avantages que présente l’ouvrage est qu’il
fait partie d’une grande collection présentant certaines religions et croyances.
Cela lui permet de prendre de la distance par rapport au sujet et d’être le
plus objectif possible. Cette capacité de l’auteur à prendre du recul sur les
sujets qu’ils abordent lui vient sans doute de ses diverses expériences dans le
journalisme et l’écriture. Je sais qu’il a commencé en tant qu’écrivain de
fiction, puis qu’il a continué en tant que rédacteur en chef pour les magazines
tel que Le Monde du tourisme avant de se tourner vers les livres
traitant de la spiritualité. Je pense que c’est cette pluridisciplinarité et
cette diversité qui lui permettent d’être aussi juste dans les sujets qu’il
traite.
Swann :
Donc selon les livres
introductifs et en particulier celui de Bernard Baudoin sont une bonne voie
pour comprendre l’hindouisme ?
Ysé :
Je ne dirais pas que cela
est suffisant mais un livre de vulgarisation comme celui-là est un bon
commencement pour comprendre une religion et ses applications. Une bonne
manière de l’appréhender. Il est cependant important ne pas oublier que cela
reste une première approche. Il ne faut pas s’attendre, à la fin de cette
lecture, à être en mesure de comprendre l’entièreté de la doctrine. Cela reste
un livre de vulgarisation qui, bien qu’assez complet, laisse de côté des pans
importants de la religion tel que la vraie définition de qu’est l’Ahimsa et le
Karma. Cependant, la méthodologie qu’utilise Bernard Baudoin, très scolaire,
permet de bien comprendre les fondements et l’histoire de l’hindouisme.
Swann :
Vous parlez d’une méthodologie
assez scolaire ainsi que de sujets non abordés dans le livre, cela signifie que
l’auteur a dû faire un certain nombre de choix pouvez-vous nous en parler un
peu plus ?
Ysé :
Il est évident que l’auteur
a dû faire des choix lors de la rédaction de ce livre. Une religion aussi
complexe et avec autant d’histoire que l’hindouisme ne peut bien-sûr pas être
résumée en 150 pages. Ce qui est intéressant ici c’est que Bernard Baudoin
revêt successivement le costume d’un historien, d’un théologien et enfin d’un
sociologue.
Swann :
Que voulez-vous dire par
là ?
Ysé :
Tout simplement que dans la
première partie il va expliquer les origines de la doctrine. Les mutations
démographiques qui ont poussés les populations Harappéenne, à l’initiative de
cette religion, à migrer en Inde. Il nous narre l’apparition des védas et les
différentes mutations que la religion a dû effectuer pour pouvoir s’adapter aux
populations mouvantes. Dans la seconde partie, il prend le rôle de théologiens dans
le sens où il nous présente les fondements de la religion et notamment
l’évolution spirituelle des disciples et leurs différentes naissances.
Swann :
Pardonnez-moi de vous
interrompre mais quelles sont les différentes naissances dont vous
parlez ?
Ysé : Ces différentes naissances sont les
symboles de l’évolution spirituelle des différents pratiquants de la religion
hindouiste. La première est la naissance physique, elle est suivi par le
mariage qui marque le moment où l’on peut commencer à faire des sacrifices. La
troisième naissances est la mort de l’enveloppe charnel pour renaitre dans le
monde des dieux. L’évolution spirituelle est aussi, comme il l’énonce bien dans
son livre, quatre étapes que les hindous doivent passer pour atteindre le
nirvana. La première est le dharma c’est-à-dire le fait d’être conforme
aux vertus et à la morale dictées dans les védas. La deuxième est l’artha,
l’enrichissement qu’il soit monétaire ou spirituel. La troisième étape est la
volonté de s’instruire, d’en connaitre toujours plus. La quatrième et dernière
étape est celle appelée le moksha, elle désigne la libération du cycle
des réincarnations et l’entrée dans le monde des dieux, autrement dit le nirvana.
Swann :
L’auteur a-t-il parlé du
panthéon hindou ?
Ysé :
Il serait compliqué de
parler du panthéon hindou dans son intégralité car il comporte plus de 33
millions de dieux. Cependant il aborde, toujours dans cette seconde partie,
évidemment les divinités les plus importantes de celui-ci et notamment la
trinité de dieux qui en est le cœur. Ainsi il présente successivement Brahma le
créateur, Vishnu le préservateur, et Shiva le destructeur. Le choix de ne
traités que cette infime partie du panthéon marque encore une fois cette
volonté de Bernard Baudoin de faire un ouvrage complet dans les thèmes abordés
mais synthétique dans la manière de les traiter. Par ce biais, il nous initie à
la globalité des croyances hindouistes et la façon dont la population les
pratique. Il nous montre les divinités les plus importantes du panthéon sans nous
embrouiller avec les millions d’autres. Il en est de même pour les avatars
qu’il nous présente. Il se concentre sur le principal, Krishna, avatar de Vishnu
et l’une des figures divines les plus vénérées en Inde.
Swann :
Certains avatars sont-ils
plus vénérés que les dieux eux-mêmes ?
Ysé :
C’est encore une fois une
question à laquelle Bernard Baudoin répond avec justesse avec notamment
l’exemple de Krishna. Il faut bien comprendre que l’immense abondance de dieux
dans la religion hindouiste donne lieu à un délaissement d’autres divinités.
Certaines sont seulement locales et sont très peu connues. Il est donc évident
que certains avatars, représentant de dieux très populaire tel Krishna avec
Vishnu, sont plus populaire que ne peuvent l’être ces petites divinités.
Swann :
Vous aviez parlé de son
rôle de sociologue. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ysé :
C’est ici la véritable
partie avec laquelle j’ai un problème dans cet ouvrage. Dans celle-ci il étudie
les évolutions de la société et la façon dont l’hindouisme a su s’adapter à
cette évolution. Il nuance tout de même en rappelant que le respect de la
tradition telle qu’elle nous ait enseignée dans les védas reste néanmoins une
valeur centrale de l’Inde actuelle. Nous apprenons ainsi les différentes
réformes qui ont eu lieux pour faire évoluer la religion et lui permettre de
s’adapter à la forte influence du bouddhisme. Il revient sur l’histoire mais
d’un point de vue beaucoup plus sociétal. Il explique notamment l’arrivée de
l’hindouisme en Chine et la manière dont les populations l’ont accueillie.
C’est une partie qui aborde un grand cadre temporel et géographique qui permet
de voir, tout du moins en surface, les différentes répercutions de la religion
sur la société.
Swann :
Pardonnez-moi mais je ne
vois aucun souci apparent dans ce que vous venez d’énoncer.
Ysé :
Le problème ne réside pas
ici dans les sujets traités mais dans ceux qui ne le sont pas. Le féminisme et
la place de la femme dans cette religion par exemple est un sujet qui aurait
tout à fait mérité d’être traité. Encore une fois, je comprends la difficulté
de faire un livre introductif tout en restant objectif, tout comme je l’ai dit
plus tôt. Cependant des sujets aussi importants, comme peut l’être la place de
la femme, doivent être abordés. D’autant plus lorsque l’on sait que l’hindouisme
est la première religion en Inde et qu’elle influence profondément la politique
nationale ou tout du moins les comportements sociétaux. La place de la femme
dans l’hindouisme est donc dans certains cas bien représentative de son rôle
dans la société. Un sujet qui influence autant la société doit, selon moi,
nécessairement être traité dans une partie ouvertement portée sur les enjeux
sociétaux de l’hindouisme.
Swann :
A la vue de ces différentes
peut-on vraiment considérer que ce soit un bon livre pour aborder
l’hindouisme ?
Ysé :
Oui tout à fait. Vous ne
trouverez sur le marché aucun livre introductif qui parviendra à traiter de
manière synthétique toutes les croyances et les enjeux sociétaux de
l’hindouisme. Il me semblait cependant important de prévenir qu’il faut prendre
un certain recule sur ce point quand vous lisez un ouvrage de ce type.
Swann :
Dans ce cas-là, comment
palier à ce manque d’information ?
Ysé :
Je conseillerais de prendre
le temps de vous acheter d’autre livres portant cette fois sur des aspects spécifiques
l’hindouisme. Ceux qui vous intéressent le plus. C’est particulièrement
important si vous vous intéressez à l’aspect sociologique de la religion. En
effet, la population ne fait qu’évoluer et le rapport des hommes avec la
religion aussi. Il faut alors favoriser des ouvrages assez récent. Celui de
Bernard Baudoin est très intéressant sur la partie historique et théologique
par exemple mais l’est un peu moins si vous vous intéressez à la place que tient
l’hindouisme actuellement en Inde puisqu’il a été publié en 1995.
Swann :
Pour finir, vous nous
disiez avant que le sujet du féminisme dans l’hindouisme et en Inde n’était pas
abordé, pouvez-vous nous conseiller un livre qui nous éclairerait sur ce
sujet ?
Ysé :
Selon moi il est
indispensable de s’intéresser au féminisme, surtout après l’émergence du
mouvement Me too et tous les changements sociétaux qu’il a apportés. Justement,
une femme que j’ai eu plaisir à rencontrer, Rita Banerdji, une auteure,
photographe et activiste de genre de l'Inde, a écrit un livre sur le sujet. Dans
son ouvrage Sex and Power : defining history celle-ci parvient à
utiliser l’histoire, comme peut le faire Bernard Baudoin, mais pour montrer et
dénoncer la place de la femme en Inde et dans l’hindouisme. C’est donc un livre
que je conseillerai sans aucune hésitation à quelqu’un qui voudrait se renseigner
sur le sujet.
Swann :
Eh bien merci beaucoup Ysé
Tardan-Masquelier pour avoir répondu à mes nombreuses questions.
Ysé :
Merci à vous de m’avoir
permise de m’exprimer.
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